Comme tout le monde, ou presque, j’ai une notion floue de ce que l’alchimie symbolise par les différentes successions de couleurs, dans l’œuvre : au noir, au blanc, au rouge constituent les trois principales, hormis quelques variantes (citrin, queue de paon).
Je n’ai aucune compétence concernant la manipulation des métaux. Mais, comme tout un chacun moyennement cultivé du XXIème courant, j’ai un vernis culturel concernant le symbolisme de ces trois phases.
Et, étant sujet ou plutôt premièrement objet de l’œuvre (en fait, les deux simultanément), j’ai établi des parallèles et des passerelles entre les notions culturelles et mon parcours existentiel (objet) et essentiel (sujet).
Comme tous les humains en voie d’éveil, j’ai connu un passage prolongé, complexe et très angoissant par les affres du noir. Gurdjieff quelque part disait que deux sortes d’hommes ne souffrent pas : ceux qui ne savent pas qu’ils sont prisonniers, et ceux qui se sont enfin libérés. La souffrance est le lot de ceux qui sont en train de poser leurs chaînes, ou de prendre conscience de leur état de prisonnier.
Si vous souffrez, c'est la preuve que vous êtes en chemin.
J’ai une petite réserve à apporter, et à l’alchimie, et à Gurdjieff : il n’y a pas qu’une œuvre au noir, qui se situerait avant l’œuvre au blanc. Il n’y a pas qu’une série de chaînes. Non.
C’est plus complexe. D’abord, s’agissant de processus intimes et relatifs, rien n’est jamais sûr, acquis et parfait, sauf peut-être dans les niveaux ultimes qui président à la réalisation totale. Jusque là, gardons en tête que tout est relatif.
Donc, le blanc représente le stade atteint lorsque la personnalité est enfin parvenue à une cohésion suffisante pour absorber de manière positive les énergies intérieures auparavant incontrôlées, afin de ne plus se laisser désarçonner par elles. Ce qui en nous réagissait violemment aux reflets extérieurs est apaisé et réconcilié. Ce travail très difficile est le premier but de la vie : obtenir une paix relative, afin de pouvoir cultiver tranquillement ses choux et élever sereinement ses petits enfants.
Une partie des chaînes a été posée. On supporte maintenant et on finit par aimer notre nature, vue dans le miroir que représente la Lune.
Mais le monde est là. Après l’âpre combat avec le dragon du seuil personnel, on peut s’endormir benoîtement en prenant sa petite part, ou retourner au combat. Car l’œuvre de libération et de purification n’est pas complète. Le monde entier souffre, dans les douleurs de l'enfantement, comme disait Saint Paul.
Une fois reposé des premières batailles, on peut se réveiller soudain bouleversé et meurtri par les cris qui viennent du monde, des autres. Ceux qui ne sont pas nous, croyions-nous jusqu'alors. Mais peut-on réellement s’isoler – être une île – de cet océan de souffrance ?
Je crois que non. La paix et l’équilibre que nous avons durement atteints ne l’ont pas été pour dormir, mais pour devenir de vrais guerriers, au service des autres, de leur libération, de la libération du monde. La conscience chèrement acquise ne doit pas rester notre petit trésor, sous peine de pourrir et de nous ramener à un stade pire que la mort.
Cette conscience doit produire du fruit, ensemencer, germer. C’est le stade alchimique de la multiplication.
Nous voici de retour dans l’œuvre au noir multiplié par toutes les souffrances du monde. Nous voici face au gardien du seuil planétaire.
Impossible de l’affronter si nous n’acceptons pas, comme le Christ, de nous charger de tous les péchés, c’est-à-dire en français moderne, les erreurs, les souffrances, des autres, c'est-à-dire de comprendre une fois pour toutes que l'autre, c'est encore nous, avec les terribles implications qui s'en dégagent.
Ceux que n’ont pas touché au cœur les souffrances du monde n’ont aucune chance face à lui, car le secret du passage consiste à ne plus présenter la moindre parcelle de dureté, d’obscurité, d’inconscience.
Notre égoïsme doit avoir totalement cédé. Jusqu’au dernier atome. C'est un nouveau travail gigantesque, qui se fait par le glissement successif de minuscules petites strates minéralisées, l'attention constante, dirigée dans ce seul but, dans tous les instants et les situations qui surgissent. Dissoudre et coaguler. Encore.
Aller par delà le miroir, c'est franchir la sphère de la Lune pour s'exposer aux rayons dévastateurs du soleil qui brille sur tout le monde. De l'autre côté du miroir, c'est la lumière, certes, mais la lumière est cruelle, acide, impitoyable, insoutenable.
Le degré de pureté requis est extrême. Il faut avoir vaincu le monde, disait le Christ. Le vaincre n'est sûrement pas s'en détourner et lui cracher dessus. Le vaincre, c'est en voir la splendeur et en accepter jusqu'au fond de l'âme toutes les vicissitudes.
Voilà, c'est ma dernière livraison. Je vais dorénavant lâcher prise, m'éloigner de mon quotidien ordinaire (ou plutôt extraordinaire mais banalisé), dont ce blog, pour une vie double : à la fois prendre de la distance et aller au coeur. La vraie vie ?
Je n'ai presque pas écrit ces derniers temps, et mes petites réserves de cacahuètes ont fondu. Plus grand chose dans la besace. Je reviendrai quand ce sera de nouveau mûr, le sac plein.
Symboliquement ? Hier j'ai trouvé cette belle clef à gorge dans une maison en démolition. La clef des champs ? Du Labyrinthe ? Du mystère, de l'énigme, de la prison ?
Comme d'habitude, il manque quelque chose : la serrure. En attendant, vivez votre vie comme elle vient.