Gustav Adolph Mossa, 1906
Je reviens une énième fois sur le processus de purification du désir, car, à mon degré actuel d’évolution, c’est la clef qui ouvre la serrure secrète de notre existence.
Pour être très clair, car Mme VJ qui me lit parfois estime que je fais trop de raccourcis, comme si je me parlais à moi-même, l’existence, c’est le film que nous vivons à l’extérieur d’une sphère dont l’auteur habite à l’intérieur. Il est nous, comme nous sommes lui. Seulement, dans la plupart des cas, la communication passe mal. Alors nous, les acteurs, croyons dur comme fer que nous pouvons agir, quand nous ne sommes qu’agis.
Pour intervenir sur le scénario, il faut avoir rétabli la communication, et, en tant qu’acteur responsable informé du sens de la pièce, suggérer des modifications, voire imposer des situations nouvelles.
D’acteur, nous deviendrions alors co-auteur.
En dernier ressort, c’est un problème entre Nous et nous. Rétablir le lien, s’affranchir de la détermination.
Mais le film tourne toujours autour du même pivot : le désir.
Voici une nouvelle fois l’enjeu du scénario, comme l’ont exposé les Grecs : le désir connaît quatre phases, quatre états principaux :
- Pornéia, qui décrit la relation entre le bébé et sa mère. Pour l’enfant, pas de différence entre sa mère et lui. L’expulsion lui a semblé une catastrophe, il ne rêve que de fusion, de plénitude. Il lui faut le lait, le sein, le chaud, l’humide, la voix, les caresses. Entre sa mère et lui, aucune distance. Dès qu’elle s’éloigne, il pleure et réclame son retour, amputé de lui-même. Pornéia a donné son nom à la pornographie, qui montre à l’infini des spectacles de comblement d’orifices. Satiété paradoxalement jamais satisfaite, comme le supplice de Tantale. I can get no satifaction...
- Éros, qui a pris note de l’espace désormais béant entre la mère disparue, chair arrachée au bonheur qu’il faut dorénavant rejoindre par tous les moyens. Éros a un arc, et des flèches, qui symbolisent la distance. Le but d’Éros est de rétablir l’état de plénitude antérieur, serait-ce par la violence. Car, comme l’a noté Freud, Éros et Thanatos sont frères. La mort réunit les manquants et apaise le manque. La mort est toutefois un échec sur le chemin, car elle ne réunit que des êtres incomplets et béants.
- Adelphos, ou Philia : le désir émoussé, qui par lassitude peut-être renonce à s’approprier la part disparue, et commence à voir dans l’autre un être séparé mais libre. Éros veut manger, combler sa faim. Philia s’assied et regarde l’autre vivre séparément de lui. Philia regarde l’autre tel qu’il est, et s’en réjouit. Philia ne veut plus jouir de l’autre comme de sa moitié manquante. Philia devient unique et reconnaît l’autre comme un autre, unique. Philia aime la distance qu’il trouve entre l’autre et lui. Tout ce que Philia découvre en l’autre, il le voit en lui. Un jour, il découvre que l’autre, c’est lui, et lui, l’autre.
- Agapè, c’est l’extension de Philia à toutes les créatures, dans une fusion qui laisse à chacune son entière liberté. Agapè, c’est Pornéia transfigurée. D’une fusion indistincte où toute séparation est ressentie comme une atteinte, une menace, on est passé à une fusion volontaire d’êtres libres et conscients de leur identité propre, et de leur identité commune.
Pour parvenir à ce stade, il est certain que les acteurs doivent collaborer activement au scénario, car Agapè est un lieu dans lequel rien ne peut être contraint.
Cela signifie que seules les âmes prêtes à ce retournement y ont accès. Ce que tous les textes sacrés n’ont cessé d’affirmer.