Comme un ivrogne retourne fatalement à la source de son ivresse, je suis revenu à la lecture des gnostiques.
Je viens de lire « Jésus et la gnose» d’Émile Gillabert. A chaque page, je me disais : faut que je mette ça sur le blog. Mais bon, ça ira aussi vite de le lire en direct.
Pour faire très très simple : les gnostiques, on ne les connaissait que par les imprécations des pères de l’Église qui avaient
besoin de boucs émissaires. C’étaient donc des fous, des pseudo « gurus », des débauchés.
Jusqu’à ce qu’un coup de pioche opportun fasse jaillir d’une grotte d’Égypte un trésor de livres et vieux rouleaux. Une bibliothèque
gnostique cachée au Vème siècle par un moine. La seule au monde. Toutes les autres ont été détruites. Ça change la donne.
Malgré toute la mauvaise volonté des églises officielles – certains textes n’ont été traduits qu’après 50 ans – soudain remontent les
textes qui ont enregistré au plus près la voix du Christ. Rien à voir, ou si peu, avec les canoniques. Trois ou quatre réécritures partisanes et mensongères ont totalement brouillé les pistes.
Ce que disait le Christ, en gros, c’est que l’éveil est possible car le Royaume de Dieu est déjà advenu. Il a toujours nié être le
« sauveur » qu’attendaient les Juifs. L’éveil, c’est ici, et maintenant. Pas dans un futur hypothétique. Le jugement ? Être présent.
Gillabert donne un merveilleux exemple de traficotage des textes : la brebis égarée gnostique, c'est pas une parmi cent. Non, c'est un
homme qui perd la plus belle, la plus grosse de ses brebis, celle qui fait toute sa joie, l'Unique, la Perle. Alors il laisse les 99 autres pour ne chercher qu'elle. C'est la Source, qu'il a
perdu. Alors il laisse toutes ses préoccupations factices, il abandonne les jongleries du mental pour partir à sa poursuite.
Dans les évangiles canoniques, bien loin de ça, le berger ramène soigneusement la brebis, une parmi d'autres, qu'il aime toutes
pareillement, au troupeau. Le tour est joué, tout le monde sous clef. Broutez, fidèles, jusqu'au jour du jugement, où, si vous avez été parfaitement soumis, vous serez (peut-être)
sauvés.
Pour cela, pour être sauvé, surtout : ne pas vivre. Endurer toutes les misères. Pauvre pêcheur. Deux mille ans de propagande, deux
mille ans d'esclavage.
Pour le gnostique Valentin, les hommes se partageaient en trois : les hyliques, de hylé, la matière. Ceux-là, qui peuvent être très doux et agréables, d’ailleurs, sont proches des animaux et vivent pour satisfaire leurs sens, leur corps. Ils
sont pleins de matière.
Et curieusement, certains sont parfaitement libres. Pas de frontières, pas de jugement. Tout classement est une erreur, un point de
vue.
Les psychiques vivent sous l’emprise du mental. C’est eux qui dominent en ce monde et l’ont rendu tel qu’il est. Eux qui ont travesti
le message du Christ pour garder le pouvoir, et aussi parce qu’ils étaient (et sont) incapables de le comprendre. A vrai dire, ce message leur est intolérable. C’est très clair dans leur
condamnation des premiers siècles. L'ego condamne à mort tout ce qui le dépasse.
Ceux-là sont pleins d’eux-mêmes. Ils sont les plus éloignés, tant ils sont pleins de certitudes. Seul le naufrage peut les
aider.
Enfin, les pneumatiques. Ceux qui vivent pour et par l’esprit. Ceux-là cherchent le vide. Comme un pneu de voiture, ils sont pleins de
vide. De renoncements, de dépouillement. C’est l’esprit qui vit en eux.
De hylé, on passe à Il Est.
Comme je le faisais remarquer à Mme Yog l'autre jour, le pneumatique est parfois, souvent crevé. Parce que la vie est dure,
ici-bas, dans ce monde imparfait, tant qu'on n'a pas effectué la percée par où l'esprit coule. Et il arrive que le contact se perde.
Pour Platon, les orphistes, Plotin, bref, pour une bonne partie de la philosophie grecque, ce corps, ce monde, étaient des tombeaux
dont l’âme doit s’envoler. Pour la gnose, si ce monde est bien une tombe, un cimetière, créé par un dieu fou et menteur, c’est ici qu’on doit ressusciter, c’est-à-dire naître de nouveau. A
cet instant, ce n’est plus nous qui vivons, mais le Soi qui vit en nous. Nous sommes devenus une porte entre deux mondes. La mort n’a plus la moindre importance.
Le salut sans cesse reporté sur un hypothétique messie n'est plus à l'ordre du jour. Cette notion issue du peuple juif qui attendait
et attend toujours l'envoyé de son dieu tribal qui leur a promis de les faire régner sur le monde - tout le contraire de l'éveil - cette notion a été récupérée par Paul le pharisien pour
asservir.
Depuis cette date, et tout au long de son histoire, l'église triomphante s'est hissée au sommet du monde, au devant des armées
qui ont conquis la terre au nom du dieu de la Bible, versant des fleuves de sang, de l'Albigeois aux Amériques.
Jésus, pourtant, disait l'inverse : à quoi sert de gagner le monde si c'est pour perdre son âme ?
Mensonges, mensonges, mensonges. Le mensonge était si gros qu'on peine encore à en sortir.
L’éveil n’est peut-être pas réservé aux seuls pneumatiques, puisque certains hyliques vivent comme des saints ; mais il faut une
sacrée chance pour que quelqu’un, un psychique, surtout, qui n’a pas été prédestiné puisse parvenir à ce non-lieu, ce non-temps. Une sacrée chance qui généralement arrive comme une
accumulation de catastrophes. Quand tout s'écroule, l'homme, n'importe quel homme se trouve jeté dans le vide. Et dans ce vide où il n'est jamais seul, tout peut arriver.
La thèse de la prédestination a toujours fait hurler les foules. Mais le Christ a répété sans cesse que son message ne s’adressait
qu’à quelques-uns.
Toutefois, pour compenser cette dure loi, chaque humain qui s’éveille apporte un supplément de lumière qui profite à tous.