Nous avons tous en nous des restes de l’Homme Sauvage, homo sylvaticus, encore dit : l’Homme des
bois. L’homme de la jungle, de la forêt profonde, l’homme qui vit en symbiose avec la Nature. Bien sûr, seules quelques peuplades reculées, décimées, sans cesse menacées par l’énorme appétit
de la Pieuvre peuvent encore être considérées comme sauvages. Mais nous portons tous la mémoire de nos ancêtres sylvestres, qui n’étaient pas encore devenus bourgeois.
Ces hommes là vivaient en liberté. Liberté contrainte probablement par la concurrence des prédateurs les plus variés, de la bactérie aux loups et autres tigres, contrainte également par la sempiternelle hiérarchie du clan.
Pourtant, le désir de liberté était immense. Toute la vieille littérature ne parle que de cela : conserver, retrouver sa liberté, en tant qu’individu, en tant que peuple.
Avant que le vocable liberté ait été définitivement vidé de toute substance, puisque bientôt il ne s’appliquera plus qu’à la faculté que nous aurons de choisir entre des milliers de programmes télé, je voudrais faire une petite remarque sur deux façons de concevoir la liberté, et montrer que l’humanité a malheureusement fait le mauvais choix.
Le premier cavalier de l’apocalypse de Jean monte un cheval blanc, lequel désigne entre divers sens possibles la race blanche caucasienne qui ne cesse de bouleverser la planète et d’apporter partout le feu. Cette race parle de nombreuses langues, toutes provenant de l’indo-européen.
On trouve dans cette langue commune deux mots pour signifier la notion de liberté : Liberté, justement, et freedom.
L’adjectif latin liber a donné les mots leud, leod, leute, eleutheros, lid, lud, qui désignent les peuples libres, l’assemblée ; liber signifie également : vide, vacant, et rejoint par là le substantif liber qui est l’écorce, l’aubier de l’arbre, constitué de canaux, de vaisseaux qui véhiculent la sève, puis par assimilation le livre qu’on lit, et qui souvent nourrit et rend libre. La balance est libra, libre de vivre dans l’équilibre ou non, reliée par son centre. Libre comme l’air.
Le substantif libertas contient et provient de la racine lib, qui a donné libido, love, liebe, l’amour.
C’est en fait lib-virtus, la puissance de l’amour. L’amour rend libre.
Freedom, le fait d’être free, réfère au grec thèr, et au latin ferus, fera, qui sont les bêtes sauvages. La même racine a fourni fier et farouche, franc et franchise. La bête féroce rôde et cherche des proies et parcourt sans relâche son territoire, pourchassant les intrus, intruse elle-même dans son désir de puissance. Agrandir et soumettre.
On voit que le premier vocable désigne une sorte d’harmonie dans un groupe, basé sur des notions d’indépendance et d’affection, ce que voulaient probablement représenter les arbres de la liberté plantés lors de la révolution française.
Hélas, comme bien souvent, c’est la férocité et les comportements bestiaux qui l’ont emporté.
De nos jours, les peuples occidentaux, sous couvert d’apporter la liberté – baptisée démocratie après avoir porté les prétendues couleurs du Christ – répandent la sauvagerie, le meurtre et la rapine sur tous les continents.
Lorsque je parle des peuples occidentaux, j’ai bien conscience qu’il vaudrait mieux dire : les dirigeants occidentaux, au moyen de leurs armées monstrueuses. Mais ce sont bien leurs peuples qui financent tout cela, dont vous et moi, hélas. Nous les serfs.
Et pourtant, ces peuples sont composés de gens qui en leur for intérieur, ne rêvent que de cela, de la Liberté, la vraie, la belle, celle dans laquelle tous les êtres s’acceptent et s’honorent, et où tous les peuples fraternisent. Même si ça sonne bizarrement, la Liberté et la Fraternité sont de grands fantômes qui nous hantent.
Il y a bien deux libertés, aux antipodes l’une de l’autre : liberté de vivre dans l’amour, le respect et la dignité, donc de considérer l’autre comme soi-même, et liberté de regarder l’autre comme une proie ou un esclave, et donc de le déchirer et de répandre le malheur, la haine et la terreur.
A défaut de pouvoir agir directement sur les événements mondiaux, on peut mettre ça en place pour soi-même, dans un cercle minuscule, certes, mais primordial.
La liberté, la fraternité d’une race humaine délivrée de la férocité…ça commence dans le cœur de chacun, à son travail, dans sa voiture, dans sa petite existence d’instant en instant.
Veiller à ne pas blesser, à donner ce que l’on a de mieux, à rester ouvert et disponible.
Maître Philippe de Lyon n’a cessé de recommander de ne pas médire. C’était pour lui la faute première. Médire, dire mal, c’est se comporter comme une bête féroce, enfoncer ses griffes dans le dos des absents. C’est augmenter et resserrer la trame de l’ombre.
Desserrer cette trame, c’est augmenter le flot de la lumière. Chaque photon gagné individuellement éclaire un peu plus loin, jusqu’à ce que le nombre requis de lumières illumine le monde. Jusqu’à ce que la créature la plus féroce se voie elle-même telle qu’elle est, en plein jour, et que cette soudaine connaissance la détruise ou la métamorphose.