J’espère avoir convaincu que dessinateur Hergé a crypté son oeuvre. De très nombreux artistes ont crypté la leur, car la véritable création, celle qui est inspirée et non fabriquée met en œuvre plusieurs niveaux de conscience qui s’entrelacent.
Plus une œuvre recèle de niveaux de lecture, et plus elle sollicite et retient notre attention, car autant de niveaux en nous peuvent y répondre.
On parle de la hauteur de vue d’un intellectuel, et de la profondeur d’un artiste.
Lorsque hauteur, profondeur et immédiateté sont simultanément présents, l’œuvre est parfaite.
De tous temps, de l’abbé Trithème à Alan Turing, de brillants esprits se sont attachés à inventer des langages abscons et impénétrables sans leur clef, et d’autres à rebours, comme Champollion, ont cherché à forger les clefs manquantes.
Mais avant d’en arriver à ces stades professionnels ou pathologiques, il faut voir que nous sommes tous plus ou moins capables de crypter nos propos.
Pour reprendre le propos de Molière, nous faisons tous du cryptage sans le savoir, lorsque nous plaisantons.
Un mot d’esprit, une boutade, est un propos qui peut être lu au premier degré, ou à des degrés divers. Deux niveaux étant le minimum requis pour être recevable.
Quelques exemples de niveaux de cryptage : d’une expression banale « un peu, mon neveu », on passe spontanément à « un peu, ma nièce », histoire de changer, juste pour redonner un peu de vigueur à une phrase lourde et ressassée. De là, on se laisse glisser à « un peu, Agnès », qui pour finir (mais on peut aller loin) donnera « beaucoup, Agnès ». Certes l’intérêt est médiocre. Mais on voit la gradation successive. Allons un peu plus loin, pour le fun : « Too much, Agnès » qui deviendra « Trop moche, Agnès ». Bien que ça n’ait aucun sens en soi, le dernier pourrait faire carrière, sans que personne ne sache d’où il sort. Parce que ce genre d’expression obscure et imbécile séduit les foules.
« Tout va bien » est déjà couramment exprimé par « Toto va bene », lequel peut être envisagé sous le sens de « Toto va benner », soit « Toto va vider sa benne », qui pourrait être exploité à son tour. Il devient facilement « Bonnot va têter », « Bonnot (ou Bono pour les zamateurs d’U2) va boire ». Et pourquoi pas, en dernier ressort « Jean (Bono) va boire ». Jean va boire devient la manière cryptée d’exprimer que tout va bien.
C’est exactement le processus vivant de l’argot, qui requiert un esprit vif et inventif, capable de s’adapter à la présence d’oreilles indiscrètes. Deux chenapans habiles au jeu sont capables, avec un peu d’habitude et beaucoup d’intuition – ça nécessite aussi d’avoir les esgourdes mentales très déliées – d’étourdir et d’embrouiller toutes les polices.
Le succès de Vidocq est du au fait qu’il était un parfait chenapan, très au fait de ces pratiques, puisqu’ élevé dans le sérail et qu’il décodait sans difficultés toutes les ruses proposées.
C’est également le travail du psychanalyste, comme Freud l’a mis en évidence.
Ça pourrait être le nôtre, c’est un exercice non physique indispensable pour saisir la moelle de nos rêves, en particulier, et le symbolisme (c’est-à-dire d’autres niveaux de lecture) de la réalité qui nous entoure et nous pénètre, en général.
Et puis - qui peut le plus peut le moins - cette aptitude pourrait redevenir indispensable dans un monde informatique truffé d'espions.
Cette voie particulière de la poésie, car à n'en pas douter, c'est une forme de poésie, (du grec poeïen, créer) redeviendrait donc dans ce cas un moyen de subversion, intelligible aux seuls inspirés.
Au début, était le Verbe ? Il est toujours là, et nous en sommes en partie détenteurs.