Robert Doisneau
La scène se passe en classe d’études des rêves. Pour rappel, un grand nombre de peuples dits « primitifs » passaient une
partie de leurs matinées à analyser le sens de leurs rêves.
Quoi de plus naturel en somme * ?
- Élève VJ, relatez-nous votre dernier
rêve !
- Ben, euh, je lis :
R.Th. – dit « le Rouge » parce qu’il était terriblement roux, et Th. F., avocat fiscaliste, ne sont pas contents après moi, parce que mon père aurait fait
autrefois une expertise d’étang qui ne leur convient pas.
On entre dans un bâtiment, on
dépasse une file de gens, on monte un escalier. Mais un gros bonhomme d'âge mur m’interpelle : stop, vous ne pouvez pas monter ! (Vous, c’est moi, personnellement).
Je (on) grimpe quand même. On
doit être au syndicat des propriétaires d’étang, comme on verra. On entre au moyen de quelques acrobaties dans un restaurant (je suis passé par une fenêtre). Je suis attablé, assis sur un banc,
lorsque le gros surgit en vociférant. Violent, il cherche la castagne. Des gens s’interposent. Je lui dis qu’il n’a rien à faire ici. Il me répond : plus que vous, moi je suis propriétaire
d’étang.
Une femme en particulier lui
explique qu’il n’a aucun droit et qu’il doit disparaître. Alors qu’il semble se calmer, je lui tourne le dos et il me prend aux cheveux (difficile dans la pratique vu mes cheveux courts). Alors,
je me lève, je n’ai aucune peur, je suis prêt à l’affronter, et… je me réveille.
- Bien. Analyse.
- Ben…c’est un rêve de gardien du seuil. Je prends l’escalier interdit. Et le gardien
me rattrape, il ne veut pas que je monte.
- Ah bon, et d’où tirez-vous ça ?
- De « propriétaire d’étang », que je lis « maître des temps, du
temps », Saturne.
- Pas mal. Quoi d’autre ?
- Les deux personnages, le Rouge, et Th. F, représentent respectivement le corps
émotionnel – l’homme rouge de la Spirale dynamique – et le corps social. Avocat fiscaliste, celui qui cherche les combines légales pour échapper au tribut. Si je peux monter avec ces deux
là, c’est que malgré leurs reproches relatifs à ce que « mon père » a pu avoir comme analyse du monde « des temps », ou des étangs, masses d’eau stagnantes et horizontales
manifestant la matière et le sommeil – malgré leur réticence, ils sont devenus légers. Les comptes sont réglés, tant du point de vue de l’émotion que des liens et des dus sociaux, encore appelés
« karma ».
- Bien, vous faites des progrès, VJ. Mais approfondissez un peu, pour vos
camarades.
- Des gens, et une femme, en particulier, sans visage défini, s’interposent. Cela
indique la distance et les « intercesseurs » sont les avocats du Jugement qui plaident pour l’accusé. Dans un procès pour béatification ou canonisation, l’église romaine
introduisait « l’avocat du diable », chargé de rechercher toutes les raisons qui s’y opposaient. Ici, c’est l’inverse. La femme plaide pour moi. C’est l’image de la Vierge, qui expose
l’inaltérabilité de l’âme.
- Quoi d’autre ?
- Nous sommes au restaurant. C’est un lieu de halte, entre la terre et le ciel. Ce
restaurant est à l’étage. Je suis assis sur un banc, qui indique plusieurs choses : assis sur le banc/la banque qui sépare, je l'annule ; le dépouillement, d'autre part, puisque le banc
est un pauvre siège de bois, et le siège commun, dont nul n'a la propriété. La même chose, sous plusieurs aspects : plus de propriété, plus d’avoir, et plus de recherche de la
distinction ni du luxe. La perte de l’individualité.
- Et ?
- …
- C’est bien, VJ. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, vous faites des progrès.
Mais il reste au moins une chose que vous n’avez pas vue.
- …
- Le gardien du seuil, ce gros bonhomme, comme vous l’avez décrit, violent, fouineur,
puisqu’il vous a retrouvé à l’étage, maître de la matière et du temps, vous l’avez appelé Saturne. C’est bien, c’est l’un de ses noms. Mais vous avez omis le principal.
- …
- Allez, je vous aide. Un gros bonhomme, assez baraqué, d'âge mûr, ça ne vous dit
rien ?
- Un peu comme…moi ?
- Voilà.
- Serais-je le gardien ?
- C’est évident. Votre reflet. Le vous chargé des clefs. Il vous saisit par les
cheveux parce que c’est le lien qui vous attire vers le haut, et dont il veut vous séparer. Il le fait sans succès parce que vos cheveux sont ras. Mais cette dernière tentative vous amène à vous
redresser et à l’affronter, sans peur, sans colère – puisque l’Homme rouge est en paix – et sans souci, puisque le karma est dénoué. Seulement, il perd tout sens, dès lors qu’il n’y a plus rien
ni personne à garder. Que reste-t-il à accomplir ?
- L’emmener ?
- S’il a su vous retrouver à l’étage, c’est qu’il vit aussi à cette altitude.
Plutôt que de vous battre, peut-être vaudrait-il mieux le reconnaître, reconnaître son rôle indispensable. Affronter, ce n’est pas rejeter, vaincre et séparer. C'est se regarder au fond des yeux.
Avez-vous compris ?
- Je comprends le principe. Changer mon regard.
- Tout sert à l’œuvre. Rien ne doit rester. A chaque fois que vous croirez pouvoir
grimper seul, en vous séparant, vous redescendrez.
- Lui aussi, je dois l’emmener ?
- Oui. Ce n’est pas lui. Il n’est pas autre. Pas séparé. C'est le lest, sans lequel
vous n'auriez pas pu vivre et expérimenter le monde terrestre.
- Merci. Je crois que je comprends un peu mieux.
- C’est le Rêve que vous devez remercier. Vous savez bien sûr Qui est le
Rêve ?
- Oui, ça je le sais depuis déjà longtemps. Enfin, il me semble.
- Alors vous avez maintenant tous les morceaux du puzzle. Il ne reste qu’à les
assembler. Alors seulement vous pourrez partir.
* Polnareff