Voici le récit qui m’a été fait il y a quelques semaines par un jeune homme né un an avant moi, en 1953.
Convoqué au service national, qui consistait il y a quelques années encore à effectuer un stage particulièrement corsé d’abrutissement par la soumission à l’autorité de ce que l’humanité – si je puis dire – compte de plus primaire, Didier fit valoir le statut d’objecteur de conscience.
Cela lui valut dix-neuf mois de forteresse, à l’isolement. Enfermé dans une cellule dont la porte ne s’ouvrait que pour les repas. Sans rien. Rien à faire. Rien à lire. Dix-neuf mois de 30 jours à attendre, entre deux brimades, comme passer une soirée debout à poil dans le mess des officiers.
Non, je ne parle pas de Guantanamo ni des geôles du Hezbollah, mais de la France des années 70.
Au secret, fermé comme une bête dangereuse, sans aucun contact. Sauf un.
Les gardes se succédaient devant sa porte. Sans lui adresser la parole. C’était la consigne. Il ne les voyait pas, mais entendait les relèves.
Un jour, le guichet s’est ouvert, et le garde de faction lui a tendu un livre, sans dire un mot. Et l’a repris quelques heures plus tard, avant de quitter son service.
Et, à chaque fois que ce garde revenait, il apportait un livre.
S’il avait été pris, il risquait de se retrouver à son tour enfermé, puni, menacé. Mais il l’a fait tout au long.
Quand je lui ai demandé s’il l’avait vu ou revu, Didier m’a dit : Non. Je ne l’ai jamais vu, je ne le reconnaîtrais pas.
De tous temps et en tous lieux, des hommes se rencontrent qui sont vraiment des hommes.
Comme l’Auvergnat, ou la petite Marie, ils sont le sel de la Terre.