Le cadre dans lequel vous et moi - qui sommes peut-être le même, en milliards de fragments - évoluons a énormément changé depuis la renaissance, et surtout depuis le XIXème siècle.
Tout s’est accéléré, chacun le sait.
Mais le regard sur soi a été bouleversé lui aussi.
Les vieux contes qui parlent de la découverte du miroir sont toujours pleins de richesse symbolique, mais depuis nous avons eu dans les familles riches les portraitistes, puis plus démocratiquement, les photographes. Enfin, maintenant chacun peut se voir en mouvement, filmé sous toutes les latitudes. C’est moi, ça ? Consternation ? Dépit ? Narcissisme ?
La science qui n’est que la variété extérieure du développement de la connaissance a dorénavant mis au monde les jeux et les mondes virtuels.
Loin de les rejeter comme trompeurs, il faut au contraire parvenir à ce degré précis de conscience qui va avec : le monde est virtuel.
C’est une révélation, ni plus ni moins. Certains le savent, mais si peu. Et combien l’ont vraiment avalé, digéré, fait leur ?
Moi-même, qui dispense des leçons incertaines du haut de ma chaire branlante, combien de fois ne m’arrive-t-il pas de dire : merde, c’est pas possible, quel bordel, ou d’avoir peur de demain, comment va-t-on faire, etc.
C’est que si le monde est virtuel, nous en sommes une composante absolument persuadée d’en faire étroitement partie. Viscéralement reliée à chaque atome du milieu.
Dites moi que si j’ai mal ou que je perds mon boulot c’est virtuel, et je vous en allonge une : et celle là, elle est virtuelle ?
Oui, je suis absolument certain – non pas parce que la science l’affirme, et elle l’affirme – que cette réalité est une illusion. Certain parce que la variété intérieure de connaissance que j’ai personnellement développée constitue un socle ferme sur lequel je peux tenir debout. Et de ce socle, je suis heureux de constater que la science extérieure le confirme.
Alors, à quoi bon vivre, si tout ceci n’est qu’un rêve, comme le disaient déjà Shakespeare et Calderon de la Barca ?
La réponse est simple : gagner la partie.
Mais elle n’est quand même pas si simple. Car qu’est-ce que gagner ? Le Christ a une réponse : à quoi sert de gagner le monde si c’est pour perdre son âme ?
Donc, au moins pour les chrétiens, gagner, ce ne serait pas gagner le monde. Qu’est ce qu’un chrétien ?
Pas quelqu’un qui cherche à gagner le monde. C’est dit : le monde, on s’en fout. Et les oiseaux du ciel, que le Père nourrit et habille, et tout ce qu’il a dit, grosso modo, de s’en foutre. Tout est donné. Pas la peine de prendre la place des autres. C’est pas le but. Pour un chrétien, attention. Les autres font comme ils veulent, si leurs textes leur disent que tout leur est dû, qu’ils sont les meilleurs, et que tous les moyens sont bons.
Ça mène où, ta démonstration, Vieux Jade ?
Ici : le cher et un peu mégalomane Victor Hugo a dit (que n’a-t-il pas dit !) en substance que la vie post mortem serait ce qu’on en attendait.
Le monde virtuel dans lequel nous sommes personnages est aussi un jeu créatif. Si nous nous trouvons bien de la réalité donnée, en acceptons tous les paramètres, elle ne changera pas, pour nous, tout au moins.
Ceux qui se débattent dans les marécages de la dualité s’y noieront, pour revenir, s’il y a un retour dans une nouvelle partie basée sur les mêmes règles. Je te tue, tu me tues, je te hais, tu me hais. Ad libitum. L’éternel retour, le film de Mouravieff.
Ceux qui refusent de tout leur être ces données primaires mais extrêmement répandues et coriaces pourront peut-être espérer sauver leur âme de la contamination de la haine et de l'autojustification, et la transporter ailleurs. Dans ce monde, déjà, on peut être ailleurs, tout en étant dans ce monde.
Pour les plus faibles, ce sera un monde d’amour et de beauté, toujours virtuel, mais répondant à leur plus cher désir, afin d’y prendre la force de monter encore.
Pour ceux, les quelques uns qui ayant tout abandonné franchiront peut-être l’invisible frontière, qui sait ce qui peut advenir ?
Que sait le souriant jaguar mexicain, qui ressemble tant au chat de Chester ?