On peut – ce n’est pas une obligation – voir notre incarnation comme le resserrement d’une onde dans un espace-temps donné. Une concrétion de l’immense en un point. Dans un spectre compris entre infrarouge et ultraviolet, soit l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes (qui sait encore en 2011 ce qu’est du papier à cigarettes ?) dans l’infini.
Notre présence ici-bas, que je ressens plutôt comme une absence, une empreinte en creux, est infime. Dans cette infimité, des milliards de scenarii, des histoires et des implications à n’en plus finir.
Voilà pour le cadre général, qui nous informe tous.
Et puis, pour chacun d’entre nous, l’information spécifique : papa, maman, ma classe sociale, mon corps, mes boutons, ce qui me blesse et dont je ne parle jamais, ma honte, mes peurs, ce qui m’attire, ce que j’aime, ma honte, mes boutons, mes peurs et mon gros cul.
Il est aujourd’hui de bon ton, surtout parmi ceux qui l’ont porté aux nues, de se moquer des ouvertures apportées par les « channels », appelées maintenant : nouille edge. Soit. C’est une excellente méthode pour rester collé. La sottise n’est pas une forme du discernement. Un crétin qui a adhéré à une croyance n’est pas plus intelligent lorsqu’il la brûle pour en adopter une autre.
Ce monde restreint et cependant immense en apparence est une illusion. C’est une croyance. Vous pouvez en avoir une autre. La somme des croyances individuelles forme une corbeille entrelacée dans laquelle se tiennent nos perceptions, comme des œufs dans un panier. L’œuf est indiscutable, comme le panier et la fermière.
Mais certaines perceptions excédentaires permettent de constater, comme la science pourtant rétive, que tout est vide. La somme des atomes qui forment la planète et tout ce qu’elle contient, privée du vide interstitiel, tiendrait dans un dé à coudre. Tout le reste est fantasme. Si ça ne vous empêche pas de digérer, moi ça me tient en haleine depuis longtemps, bien avant que la science ne me passe un coup de bigophone. Je le savais. Pas vous ? Bien sûr que vous le saviez. Mais quand on veut croire, on croit à fond. Laissez-moi dormir.
Parce que je gueule contre ce monde, certains amis me disent : change ta croyance. Invente un monde d’amour, et tu vivras un monde d’amour. Oui. Je suis d’accord sur le principe. D’ailleurs, je vis dans un monde d’amour. Mais quelque chose me dérange, dans mon monde d’amour.
Si c’est mon monde d’amour à moi, c’est encore un rêve, une croyance. Dans ce minuscule rayon d’action des sept couleurs, des sept notes, ce petit matériau qu’on donne comme de la pâte à modeler aux enfants de maternelle, j’ai fait mon monde d’amour, et je dis à la maîtresse : regarde, j’ai fait un joli monde d’amour, où je suis dieu. Et tout le monde m’aime et j’aime tout le monde dans mon monde d’amour à moi. C’est bien, mon chéri, dit la maîtresse, avant de dire la même chose à mon voisin. Et comme je voudrais que la maîtresse n’aime que moi, je ravage et piétine mon monde d’amour. Qui peut m’en empêcher, puisque je suis le dieu de ce monde ?
Laisser aux enfants le pouvoir de faire des mondes, c’est courir le risque de mondes égoïstes, en toc, faciles à détruire. Des mondes clos de dieux tyrans, comme il en existe plein, ici.
Je sais de quel genre de monde je ne veux plus, mais vraiment plus : de mondes comme la Terre où ceux qui rêvent le monde le plus égoïste enferment les autres, leurs créatures.
Mais ce n’est pas pour créer à mon tour une prison de velours où je régnerai en bienveillant despote. Ça je l'ai déjà fait, je n'en veux plus.
Le monde que j’appelle de mes vœux, de tout mon être profond, c’est un monde ouvert. Un véritable monde d’amour, c’est un monde où tout peut arriver, où chacun demeure libre d'aborder ou de quitter le navire, où nul ne construit sur l’autre, un monde sans appropriation.
Dans ce monde, il n’y a plus la moindre croyance, plus la moindre influence.
Je revendique de toute mon énergie un monde libre débarrassé de toute croyance, y compris les plus merveilleuses.