Dès la première heure de notre incarnation, et même avant, tout nous traverse. Le pire – l’abandon, le froid, la perte, l’accident, le malheur, la faim, l’injustice et le mensonge, l’attente, l’absence, le cri, la solitude, l’éloignement, la peur, la mauvaiseté, l’ignorance, le bêtise, la malignité, la haine, la détresse de l'autre à laquelle on ne sait comment porter secours, ni que dire, le désir ardent de la vengeance, le froid brûlant de l’arrogance – et le meilleur.
Tout nous traverse comme les milliers de pointes rougies au feu d’une herse infernale sur laquelle nous sommes empalés, crucifiés, tout petits.
Cette invraisemblable et incompréhensible torture verse en même temps son corollaire, la paix.
C’est presque inadmissible pour l’esprit révolté : l’orgasme serait un supplice si des substances apaisantes ne se répandaient dans notre corps entier. La plus parfaite jouissance n’est séparée de la pire souffrance que par le voile de quelques infimes molécules chimiques.
Notre corps sait le faire, et le fait.
S’il est capable d’une telle magie, pourquoi nous laisse-t-il subir toutes les souffrances psychiques ?
Cela aussi, il sait le faire. Mais ce n’est pas, contrairement à l’orgasme, un acte automatique. C’est laissé à notre libre-arbitre, à notre intelligence.
Comme si nous étions des singes ou des rats de laboratoire. Certains trouvent le bouton qui évite la douleur, d’autres pas.
Par un raffinement spécial du concepteur de la cage, ceux qui ne trouvent pas haïssent encore plus ceux qui trouvent, et ne savent pas leur montrer le bouton, car ils ne veulent ou ne peuvent pas le voir, et le cherchent partout où il n'est pas.
Par ce simple fait, la température augmente sans cesse, et toujours arrivent par le même tuyau le pire, toujours pire, et l’antidote.
L'antidote est tellement simple qu' inacceptable pour beaucoup : ce qui fait mal est un soin. Ce qui sépare nettoie. Ce qui blesse guérit. A la seule condition de l'accepter.
Et bien sûr, en corollaire : la porte, le seuil de la vie, c'est la mort.