En 1992, naquit Marie, ma deuxième fille. A cette époque je lisais beaucoup les traités de kabbale hébraïque, et en particulier le Sepher Yetzirah, lequel décrit les sephirot, ou réceptacles et structures de la création comme étant : belimah. Ce mot mystérieux a reçu de nombreuses interprétations et traductions, et désigne à peu près l’absence de caractéristiques, de forme définie.
Marie, mayim, c’est l’onde. Et j’ai souhaité, parce qu’à cette époque je ressentais cruellement les limitations qui nous sont imposées dès le choix du prénom, j’ai souhaité lui laisser la plus grande liberté à ce stade.
J’ai résolu de l’appeler Marie Belimah. Quelques années plus tôt, Mitterand avait accepté que les parents puissent donner les prénoms de leur choix à leur progéniture, ce qui n’a pas été forcément une bonne idée, au vu de certains résultats.
Soucieux de respecter les lois de la république en l'informant qu'elle pouvait dorénavant compter sur un esclave de plus, j’arrive donc à la mairie, et déclare mon intention au guichet à une demoiselle pointue et très zimbue de son nautorité.
Beliquoi ? répond-elle d’un ton belliqueux, avant d’empoigner un dictionnaire d’un format ridicule. Zécrivez-sa koman (je laisse les fautes d’orthographe qu’elle prononçait sans sourciller) ?
- Ânon, j’ai pas de belimah, j’ai Bellina.
- Ânesse toi-même, je ne parle pas de Bellina, mais de BELIMAH.
- Ah ben c’est pas dans le dictionnaire je peux pas.
- Comment-ça tu peux pas ?
- Ah ben ça doit exister.
- Mais ça existe, pauvre crêpe, puisque c’est noir sur blanc dans le Sepher Yetzirah !
- Si je sais faire quoi ?
- AAAAAHHH.
Là votre serviteur excédé et prêt à l’apoplexie eût soudain une inspiration :
- OK, pas de problème. Vous marquez Marie. Marie tout court.
- Vous voulez pas d’aut’prénom ?
- Non, non, pas d’autre prénom. Rien, Marie Tout court.
Effectivement, Marie Tout Court ça traduit parfaitement bien cette notion intraduisible que signifie Belimah. Les eaux sans limites, l’onde sans forme.
Cette fille me l’avait clairement fait comprendre.
Les voies de Dieu sont impénétrables.
PS : l'histoire est authentique, à l'exception des dialogues qui ont été un peu retouchés pour faire plus joli.