Je me régale souvent avec les ponts ou passerelles qu'on peut établir entre des mots de langues différentes. L'anglais par exemple appelle mushrooms l'ensemble des champignons, quand nous n'en connaissons qu'un de ce nom, le mousseron.
Erroné, c'est wrong. Il y en a plein, dont les fameux faux-amis. Ah, les faux-amis, false friends, tutti quanti et autres quidams bizarroïdes, ajoutés aux verbes irréguliers, m'ont mené à bien des voies erronées.
Enfin, vaut mieux se tromper de mot que de champignon.
Parce que quand on se trompe de champignon, bobo les tripes.
Les tripes, ces obscurs boyaux qui nous habitent, et dans lesquels veille ce fameux personnage qui parfois se rappelle à nous et qui leur a donné son nom : l'intestin, en français : le témoin intérieur.
Pour un témoin, c'est un témoin. Il sait tout de nous, tout. Il a tout vu passer, et dans quel état, parfois...
Tout le monde y passe, jusqu'à Javert et Jean Valjean, tout le monde un jour doit y descendre et se dire : mon Dieu, que se passe-t-il ?
Les boyaux, ces conduits, ces tubes constricteurs, dont l'ami Cyrano disait qu'ils étaient un serpent enroulé, tout les traverse. Les aliments terrestres plus ou moins mâchés, les peines, les affronts, les blessures, les regrets, tout y passe et tout y laisse trace.
Un pont entre l'anglais trip, et le voyage intérieur ?
La racine latine TR indique le passage, le franchissement, le TRansport à TRavers. Nul doute que nos tripes soient le lieu d'un voyage.
Un voyage inconscient, yeux fermés, presque toujours.
Si d'aventure, lors d'une exploration intérieure, il vous est donné, permis d'engager votre conscience dans ces viscères, vous serez surpris, sans doute, des rencontres qu'on y peut faire, des mémoires qui y sont enfouies, et toujours vivantes, quoique somnolentes.
Quand les psychanalystes ont reconnu la présence d'un inconscient, j'ignore, car j'ai très peu lu à ce sujet, s'ils l'ont relié à nos tripes.
Mon petit doigt me dit que c'est là le temple enfoui où de notre vivant sont enregistrées nos mémoires véritables. C'est la raison de la présence d'Anubis, ce chien ou ce chacal qui flaire nos selles et nos entrailles lors de ce dernier transit qu'est l'ultime décorporation, que bien des hommes croient être leur fin, la mort.