Chacun le sait, il existe trois formes principales du passé :
- le passé simple, qui est passé si simplement qu’on ne s’en est pas du tout aperçu ;
- le passé composé, c'est-à-dire les événements qui nous ont heurté mais avec lesquels on a réussi à composer ;
- le passé décomposé. Là, c’est ce qui est entré si profond que ça a laissé une marque indélébile, en déchirant tellement de trucs que ça suppure toujours, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, et quelle que soit l’apparence qu’on se donne.
Voilà, c’est simple. C’est le passé.
Le futur aussi c’est simple. Je pourrais m’amuser à raconter des fariboles : Fut – Ur, ce serait Ur, la lumière, du passé, fut. Je fus, tu fus, il fut. Mais c’est juste une pirouette.
Comme l’écureuil dans sa cage. Il tourne, tourne, et repasse sans cesse par le même chemin, nuit et jour. Son futur n’est jamais que son passé. Éternellement, jusqu’à la mort.
J’ai entendu une terrible histoire aujourd’hui. Dans un grand château d’Auvergne, un très grand, et très vieux, il y avait d’énormes citernes de plomb dans les greniers, qui recueillaient l’eau de pluie. Cette eau descendait dans les caves, où elle était chauffée, sur un brasier permanent. Puis elle repartait, par des conduites de plomb, dans les étages, par le moyen d’un système de roues crantées, dont la première était tout en bas. Cette roue était mue par un âne. C’était un jeune âne, qu’on amenait un jour dans les caves pour remplacer l’ancien, et il n’en ressortait que mort. Il passait sa vie à tourner en rond, sur le même éternel chemin, tous les jours. Sortait-il ? Revoyait-il la lumière du jour, ou passait-il sa vie entière dans le noir, je l’ignore.
Nous sommes tous des ânes. Combien voient la lumière ?
Qu’est-ce que le futur ? Peut-être que le passé revenu sous nos pas, toujours le même. Sous la poussée de nos pas, disparaît derrière nous, s’enroule au dessus de nos têtes ou sous nos pieds et réapparaît soudain, nouveau. Comme un rouleau de tissu, un escalator qui vous largue sur la scène et redescend dans les enfers.
Ce matin est comme chaque matin, avec ses rituels. Manger, chier, partir bosser. Le décor change - pluie neige soleil - mais le rituel est immuable. Et le futur soudain devenu passé simple. Volatilisé. Un rêve.
Quelqu'un a retourné le sablier et le même sable éternellement foulé s'écoule une fois de plus.
Et plutôt que de vouloir que ça s'arrête d'être mécanique, on espère que ça ne va pas se transformer en composé, les emmerdes, et surtout en décomposé : la catastrophe.
Et pourtant, c'est à travers la décomposition qu'on a une chance de sortir de cette mortelle mécanique.
Et le présent, alors ? Ce présent qui nous est constamment offert, présenté, or, encens et myrrhe, qu’en faisons nous ?
Qui est capable de vivre dans le présent, d’accepter le présent, de le reconnaître comme un présent, un don, plus de quelques instants, avant de retourner à sa roue ?