Voici ce qui est récemment arrivé à mes voisins. Jeune couple avec un enfant, lui ouvrier allant de CDD en CDD (horreur des abréviations, mais dès qu’on parle du monde moderne, c’est comme les chemtrails et les radars, comment les éviter ?), elle au chomedu, pour citer le Larousse.
Donc, bien qu’elle soit assez volumineuse à force d’ingestion de saloperies devant l’écran géant de la TV à crédit, ils n'ont pas le louque d'un couple de trédeurs.
Ça allait tant bien que mal, lui bricolant des bagnoles ou faisant du bois de chauffage pour boucler.
Il y a six mois environ, bing. Son patron à lui résoud ses difficultés conjugales et diverses en se tirant un coup de douze dans le buffet. Laissant une chienne Rotweiler, deux bambines, et deux salariés en rade.
Lui, par pitié a ramassé la chienne, qui est venue s’ajouter aux deux ou trois (je ne sais jamais combien il y en a) déjà là, le tout venant compléter la pitance chez les miens dès que possible, laissé les petites, puis est retourné à l’ANPE. Mais son contrat de travail n’étant pas dénoncé, que tchi. Va t’en voir chez les grecs s’ils ont du pognon en trop (ou adresse-toi à Goldmann Sachs).
Il a fallu 4 mois pour qu’un liquidateur règle le bazar, pendant lesquels ils se sont complètement enfoncés. Pour arriver à manger, ne serait-ce que ça, ils ont arrêté par force tous les paiements. Loyer bien sûr, et tout le reste.
Un beau jour, le trésor public a bloqué leur compte, pour un prélèvement non payé. L’assistante sociale a réussi à faire lever ça et, rebelote, idem le mois suivant.
Dès que le compte a été débloqué pour la seconde fois, une banque pleine de bon sens, si, ça existe, près de chez moi, a fait opposition sur le compte, car les deux blocages de la pieuvre publique l’avaient empêchée de prélever deux fois 70 € de crédit, pour un encours de 1 500 € qu’elle avait déjà généreusement accepté d’étaler. On n’est généreux qu’une fois, chez ces gens-là.
Généreux, c’est le mot. Ces gens-là sont généreux. Ils mettent généreusement la main à la poche en cas de besoin. Pas à la leur, non. Faut pas rêver, Monsieur, on est sur terre. Mes pauvres voisins voient leur compte déjà minable vidé de toutes parts par les agios, les frais d’intervention, et autres belles inventions dont l’humanité s’honore. Leur petite ration, si mince, passe directement dans la gueule goulue des rapaces.
Lui, globalement, il est gris, à force de ne rien bouffer. Alors tout le monde, le papa, la belle maman, les voisins, tout le monde y va de son obole, légumes, sardines, œufs, pour les maintenir à flots.
J’oubliais une chose : lui et son collègue avaient envisagé de racheter cette petite boîte qui avait du boulot, une clientèle qui les connaissait, prête à suivre, ont fait tous les bureaux imaginables, rempli des tonnes de paperasse, couru les aides publiques (oui, la hyène recrache quelques morceaux). Ça paraissait possible, mais…non, pas possible, a dit la banque. Pas d’apport personnel ?
Circulez, mes gaillards.
Voilà, une histoire simple. Il cherche une énième fois de quoi gratter 1000 ou 1200 € le mois, juste de quoi arriver un jour ou l’autre à la rubrique « décès » du journal local, de fatigue, de misère, ou de lassitude, laissant à son tour un gamin pour le remplacer.
Car il faut des pauvres, beaucoup de pauvres, afin que les banques pleines de bon sens puissent continuer à s’engraisser et à s’enorgueillir de leur merveilleuse intelligence.
Moi, ce qui me choque le plus, là-dedans – enfin, tout est révulsif, mais quelque chose me choque en particulier -, c’est qu’on se croirait dans ce test, qui a donné un film dont j’ai oublié le nom, ce test qui consistait à donner à des gens le droit d’envoyer des impulsions électriques à un quelconque quidam. Au moment d’envoyer la dose létale, ils y vont tous. A fond.
Ce que fait n’importe quel soldat du monde, sauf ceux qui renoncent, et sont fusillés dans l’instant. Ce que fait n’importe quel employé de banque, maintenant. On lui dit : vas-y, grille machin, et machin est mort. De faim, d’angoisse, de misère.
Le mec qui a appuyé sur le bouton, le soir, il dort sans problème apparent. Normal, c'est pas un mec, une famille, qui est là devant lui. C'est un écran, avec des lignes de comptes. Des numéros. Ça gueule jamais, un numéro. Comme le soldat américain qui balance des missiles depuis sa planque. C'est pas des humains, c'est des cibles. Pan. Des terroristes, des bougnoules.
Chacun d'eux appuie sur le bouton. Dans le bon sens. Dieu habite près de chez nous.
Jusqu’au jour où un autre appuiera sur son bouton à lui, parce qu’il sera trop vieux, par exemple. Là, il se souviendra, peut-être, avant d'être happé. Ou qu’une machine fera trois fois ce qu’il fait pour trois fois moins. Puis un autre, et encore un autre appuieront sur le bouton qui ne représente que des lignes, des numéros, des terroristes...
Les pions des échecs. Qui s’entretuent depuis des millénaires et, si rien n’arrête ce cercle, le feront jusqu’à la résorption du souffle de Brahma.
C’est la raison pour laquelle il est impératif de trouver une porte en soi. Ceux qui renoncent à saler leur prochain et se laissent saler à sa place l’ont certainement trouvée. C’est du moins que prétendait un certain Jésus il y a deux mille ans.
Au fait, sur combien de boutons ai-je appuyé, moi ?
PS : je suis très occupé, ce soir, je répondrai aux commentaires demain. Bonne soirée à vous toutes et tous, et merci de l'intérêt que vous prenez à ce blog.