Image prise ICI. Je vous conseille la lecture du court texte qui va avec, et qui reflète exactement dans la sphère chrétienne ce qui est dit plus bas. Bien sûr, ce qui y est dit des "bons chrétiens" est exactement applicable à tous les fidèles de toutes les chapelles. Difficile de s'individuer totalement. Pour moi, la fameuse LIBÉRATION, ce n'est rien d'autre que de parvenir à s'échapper de toutes les sujétions, et surtout des plus sirupeuses, des plus enthousiasmantes. Facile de s'écarter de la brute avec dégoût. Plus difficile, de la bonne hôtesse. Et pourtant...au jeu de l'Oie, l'hôtellerie est un piège. Si la barbarie et les fronts bas me débectent, je suis infiniment méfiant à l'égard des croyances modernes et actuelles dans un retour rapide de l'Âge d'Or. Trop joli pour être parfaitement honnête. Trop confortable.
Attention, il est conseillé à l'ego d'enfiler son gilet de sauvetage et de réviser la brasse coulée, car le propos est justement d'abandonner les trop confortables navires :
"L'étude des codes sociaux et des comportements conduit les sociologues, les anthropologues, les historiens et les psychologues à franchir des murs construits pour définir et limiter leur discipline. Ils sortent de leur forteresse et explorent de plus près la nature. L'éthologie et la biologie leur permettent d'aller plus loin.
La parade est le moyen le plus économique pour séduire et dominer. Tout être vivant sait cela. Le chemin le plus sûr pour réaliser un désir est bien évidemment celui qui fait l'économie de la violence. Il est préférable de s'imposer par des signes extérieurs de force que d'avoir à s'en servir au cours d'un combat. Les lézards, par exemple, se gonflent pour impressionner leur adversaire. Celui qui se gonfle le plus est le plus respecté. Chez les animaux à fourrure, l'effort à produire pour paraître plus imposant est moindre : ils n'ont pas besoin d'avaler de grandes quantités d'air au risque d'éclater, mais seulement de hérisser le poil. Pour nous autres, les « humanimaux », les moyens de se gonfler sont diversifiés : nous gonflons les muscles, nous exécutons des figures de danse, endossons des blousons gonflants, exhibons des signes et nous nous gonflons d' « avoir » pour qualifier l’ « être ». Nous mentons puisque « parader » c’est « avoir l'air » et « faire comme si ». Le lézard ne dispose pas de tous ces moyens, mais notre supériorité à nous les hommes, est d'ordre quantitatif et non qualitatif : nous diversifions les moyens mais ceci procède de la même origine, un désir, et d'une même finalité, satisfaire le désir. Par contre, notre supériorité est d'ordre qualitatif parce qu’à la différence du lézard nous sommes conscients de la ressemblance, nous en parlons, nous en sourions…
Mais tous les « humanimaux » ne sont pas encore concernés par le passage du quantitatif au qualitatif. La parade animale est la base et constitue l'essentiel de nos rites et cérémoniaux, de nos codes sociaux, de nos usages, de nos habitudes. Quant à nos idées, nos représentations du monde, elles sont à relier au désir puisque leur finalité est de réaliser un désir de plus en plus indicible à mesure que les codes sociaux imposent un langage conventionnel. Reconnaître en nous le lézard qui se gonfle dans toute manifestation de valorisation, c’est remonter de la signification à la plénitude du sens. (…)
L'histoire d'une explication globale des origines du monde et des causes du mal est à relier à la gestion des frustrations, c'est-à-dire au moyen de compenser le mal être causé par l’inaccomplissement du désir. Les moyens les plus utilisés sont ceux qui rassurent, évitent le désespoir, entretiennent l'espérance et font l'économie d'un effort de la pensée. L'idée selon laquelle le seul fait de « croire », c'est-à-dire adhérer à une explication globale de la réalité déjà « prête-à-penser », s'inscrit dans cette perspective. Le prêt-à-penser, comme le prêt-à-porter, a une double fonction : celle de protéger, réchauffer, cacher la nudité et aussi celle de signifier une appartenance et une identité. Le seul fait de porter un vêtement ouvre des portes et en interdit d'autres. C'est la même chose pour le prêt-à-penser. Chacun se choisit un prêt-à-penser et un prêt-à-porter adapté au lieu et au milieu qu'il affectionne. Ce fait, facile à observer, ne s'admet pas sans résistance, bien que le grand Spinoza nous ait, depuis bientôt quatre siècles, invités à regarder nos vérités en face : « Tu dis que tu as choisi une idée parce qu'elle est bonne, mais en réalité tu dis qu'elle est bonne parce que tu l'as choisie. » Le problème de chacun n'est pas de dire vrai, mais de séduire pour être aimé, reconnu et considéré. Mais cela ne peut être dit. Il convient de faire comme si l'on disait vrai. Il faut croire ou, au moins, paraître croire, parce que la connivence entre personnes appartenant à un même groupe s'établit sur le conformisme idéologique. Le prêt-à-penser, comme le prêt-à-porter d'ailleurs, « va avec » un style, une manière de se tenir, une manière de parler, de jouer, de chanter, de plaisanter, de murmurer, de regarder, de grimacer, de se mouvoir. La part d'originalité, voire d'excentricité, est signifiée par ce style sans heurter, ni déranger, ni remettre en cause le conformisme obligatoire. Il s'agit, en effet, de ressembler et aussi, en même temps, de se distinguer. Quelques « mots » font valoir un prêt-à-penser, à la manière de pin’s ou décorations sur un vêtement prêt-à-porter, qu'ils soit riche ou pauvre, et chacun a son prêt-à-penser, qu'il soit instruit ou inculte.
(…)
Formules toutes faites, mensonges conventionnels, lieux communs, autant de « Sésames » qui ouvrent des portes. La langue dite « de bois » ou bien « de coton » est la seule admise. C'est celle que l'on utilise pour montrer qu'on fait partie du club. Chaque prêt-à-penser a sa langue de bois, bien évidemment, puisque sa fonction est de réchauffer, rassurer et plaire. C'est dans cette perspective qu'il convient d'approcher l'idée selon laquelle la foi sauve. Le fait est là, constaté et vérifié : la foi sauve de la solitude. Elle est là pour être partagée. Elle est ce qui autorise l’agapè, la tendresse. C'est le sens originel du mot, masqué par le mot « amour » que les traducteurs et les commentateurs préfèrent. Question d'allure. Il est plus convenable de dire « nous nous aimons » que d'avouer « nous avons envie d'être câlinés ». Et les repas fraternels ritualisent la demande de câlins, essentiellement narcissiques. Nous sommes ensemble, autour d'une table, et nous partageons le pain et le vin, le miel, l’ ambroisie, les bons petits plats de chez nous. Nous sommes heureux d'être ensemble, nous partageons la même nourriture parce que nous sommes semblables, et parce que le nous voulons devenir encore plus semblables, nous fondre ensemble, former un seul corps. Cela est possible parce que nous avons en commun une foi, un idéal, des valeurs. Et nous gardons une pensée compatissante pour les malheureux qui ne partagent pas notre foi. Ils sont dans l'erreur tandis que nous sommes dans la lumière. Nous sommes les meilleurs, les élus, les choisis. Autour de la table se réunit la famille. Famille de sang, famille spirituelle ou politique. On échange des propos, quelques idées générales ou bien l'on refait le monde, on est là pour se réchauffer, se rassurer, se manifester de l'amour, de la tendresse, de l'estime. Mais, et c'est là que le bât blesse, pourquoi faut-il que l'estime de soi se nourrisse du mépris de l'autre ?
L'étrangeté inquiétante (ou l'inverse) du comportement humain à l'égard des idées procède de la demande d'amour, plus précisément de tendresse. Cette demande installe dans la conscience un censeur sévère : il ne laisse dire que ce qui est recevable. Ainsi, c'est l'opinion commune, la foi partagée autrement dit, qui constitue la référence suprême. Et l'on entend des personnes cultivées qui se croient libres et affranchies des préjugés commencer un propos par : « Je ne suis pas seul à penser que… » Comme si cette entrée en matière en garantissait le bien-fondé ! L'opinion communément admise, fluctuante selon les modes, joue le rôle du clergé qui, au moyen âge, s'arrogeait le monopole du sens.
A partir de la confusion du vrai et du recevable, les idéologies prêt-à-penser emboîtent les questions et les réponses : à chaque question correspond une seule réponse recevable. Construites pour procurer au désir une légitimité et gérer les instincts, elle sépare l'ombre de la lumière, les oppose et s'articule autour du dualisme vrai/faux, bien/mal, Dieu/Diable. Il s'agit bien là d'un déni de la réalité, puisqu'en réalité l'ombre et la lumière se nourrissent l'une de l'autre. C'est à partir de là qu'une explication du monde peut s'établir, sa finalité étant de procurer une certitude rassurante, celle d'être dans la lumière. Et si je suis dans la lumière, les autres sont dans le noir ! Si je partage avec les miens le bonheur d'être dans le vrai, les autres sont dans l'erreur. Et si les miens ne font qu'un corps, avec des membres et des organes, les autres en font un aussi. Enfin, si ce corps auquel j'appartiens porte un nom, celui des autres aussi. Mais le mien est lumineux, le leur hideux.
Le désir de figurer parmi les élus, face aux réprouvés, annexe la pensée. Celle-ci réfléchit le désir à la manière d'un miroir. Elle lui fait miroiter des lendemains qui chantent, le paradis retrouvé, l'ordre rétabli dans la pureté des origines, avant la blessure, la cassure, la frustration. Cette réparation sera obtenue à l'issue d'un dur combat, c'est ce qu'explique l'idéologie.
Mais ce n'est pas tout : la foi qui sauve est l’élixir magique ou le talisman des mythes, contes et légendes, grâce auquel le héros tue les dragons et délivre les princesses. Le héros est beau, fort et vertueux mais cela ne suffit pas, selon ces vieilles histoires. Il faut qu’un être étrange et à l'écart de la cité lui offre cet accessoire miraculeux. Une sorcière vivant dans une cabane au plus profond de la forêt, un lutin ou bien un nain difforme vivant dans les profondeurs des volcans, un forgeron boiteux qui maîtrise les quatre éléments (Terre, Air, Eau, Feu) et sait fabriquer un anneau qui rend invisible. Ce talisman, cet élixir, fabriqué et procuré par l’être qui règne sur le pont reliant le visible et l'invisible permet au héros de vaincre ses ennemis et de surmonter toutes les épreuves. Idéologies et religions, tous les prêts à penser appellent cet élixir ou ce talisman, la foi : foi en Dieu, amour de la patrie, foi dans la victoire finale de la cause, confiance placée dans le guide suprême (dieu anthropomorphisé où homme divinisé), foi dans le peuple ou dans la race, autant de causes à défendre qui triompheront à l'issue d'un combat terrible pour en finir avec le Mal incarné par l'Adversaire, l'Autre."
Daniel Beresniak "Le mythe du péché originel". J'arrête là la reproduction de ce texte décapant, mais tout le livre est de ce niveau.