Un jour, quelqu'un - on ne sait toujours pas qui - inventa les machines de fer. En quelques siècles, elles broyèrent tout entre leurs puissantes machoires. Leur sang était visqueux et noir, et suintait en rigoles, flaques, et mers de goudron où s'irrisaient de pâles arcs-en ciel vénéneux.
Leur haleine de soufre noir gagna les régions du ciel, et souilla les sources de la pluie.
D'abord fixes et trépidantes, les machines peu à peu, voyant que nul ne songeait à leur résister, s'enhardirent et se répandirent partout. On en vit soudain s'élancer, dévorant les hommes sous le prétexte de les transporter.
Mais aucune machine ne transporte. C'est ici, qu'elles nous veulent, rivés à leurs chaînes.
Elles laissaient derrière elles un épais flot de bitume qui séchait comme de la bave d'escargot et durcissait. Et ces traînées grises s'élancèrent au loin, ficelant en quelques années la Terre dans un réseau qui la découpait cruellement, l'enserrait comme un bas résille trop étroit. Et les machines les recouvrirent, comme autant d'insectes acharnés.
Les arbres chassés des forêts par d'autres machines qui coulaient puis chiaient à la chaîne des lingots de fer dont naissaient sans cesse de nouvelles machines, les arbres se sauvèrent et vinrent s'aligner au bord de ces serpents de pierre où roulaient les machines qui mangeaient les hommes, au prétexte de les transporter.
Là, ils eurent un répit.
Mais les machines qui chient du papier, de l'encre et des mensonges s'indignèrent un jour que de puissantes machines à roues, aux flancs lisses et fiers, aux moteurs grondants, fleurons de la race mécanique, parfois se voyaient brisées, les tuyaux disloqués par de misérables arbres.
Lorsqu'il ne s'agissait que d'obscures machines, valetaille et sous-fifres, qui ne dévoraient que des humains tout à fait ordinaires et remplaçables à merci, le bruit ne fut pas grand.
Mais lorsque les machines étaient altières et prestigieuses, coûteuses et gourmandes, et dévoraient la vie de gens notoires, qui alimentaient la Suprême Grosse Machine, - Marcel Camus et Michel Gallimard, par exemple - la machine à chier de la copie s'emballait.
Elle réclama des têtes.
L'effervescence et la furie mécanique vinrent à bout des frêles humains qui enlaçaient les arbres en pleurant : laissez-les, ils sont vivants.
- Et nous ? Ne sommes-nous pas vivants ? rugirent les moteurs et les milliards de chevaux-vapeur indignés, en postillons pétroleux et mortifères.
La machine judiciaire encore une fois accouplée à la machine à chier des mensonges, dite encore machine politique convoquèrent l'assemblée des tronçonneuses et des pelles mécaniques, et dans le tumulte, envoyèrent ces tâcherons à la curée, comme dans la Vendée de 93 ou comme dans toute guerre moderne : hâchez-nous ça menu!
Et les fiers arbres ensauvés des précédents massacres périrent alors en file au long des routes, faisant autant de papier pour y imprimer l'encre noire du mensonge, afin de faire de la place aux panneaux et autres machines publicitaires, dans lesquels s'encastrent de temps à autres des machines à roues.
Mais quand le fer épouse le fer, c'est beaucoup moins grave.
L'important, c'est de liquider tout ce qui était là avant, le rêve de notre Mère.