Mardi, 13 h 30, soleil généreux. Petite halte sur le transat. Atmosphère tendue depuis deux jours.
Des gens qui refusent de tenir leurs engagements, dans des domaines divers. Malgré l’évidence de ce qu’ils ont accepté et signé.
J’ai lâché la pression ce week-end, sur un avertissement : que les choses soient réglées avant lundi soir.
Rien. Aucun contact. Ils ont donc décidé de renier leurs engagements, ce qui entraîne des difficultés financières, toute sorte de problèmes en vue.
Nuit de lundi : je décide de ne pas me laisser envahir par la colère – et pourtant, je leur ai ouvert de nombreuses portes, des possibilités de négocier – la colère de constater qu’ils m’acculent au conflit. Non, pas de colère. Demain, je lancerai la machine, mais pour cette nuit, dors.
Facile à dire, difficile à faire. Pas cette fois-ci. Cette fois-ci, j’ai réussi. Bien dormi, reposé, beau soleil, calme, belle journée.
Une belle journée pour commencer la guerre.
J’appelle les hommes de loi compétents, et à leur demande je rédige un résumé de la situation, qui doit leur être remis dans la soirée.
Il est parfaitement clair dans mon esprit que si je dois mener la guerre, c’est d’une part pour la gagner, et d’autre part sans haine, sans rancune, sans ressentiment. Gagner ce n’est pas écraser l’autre, ni crier vengeance. C’est revenir à ce qui est juste.
12 h 30, le téléphone sonne. Que s’est-il passé ? OK, ils sont d’accord, ils changent de position, et acceptent de faire ce qui a été prévu, intégralement.
On annule tout.
Le ciel fait bien les choses, dirait-on, et juste au dernier moment.
13 h 30, donc, je grille au soleil, pensif, en écoutant radio Oiseaux. Dring. Merde. Je me lève, vais vers le téléphone. M.Vieux Jade, ici c’est Machine de chez Trance mobile Felecom, pour une proposition commerciale.
Combien de fois par semaine, par jour, cette chasse ouverte à la paix et à la tranquillité ? Parfois, j’ai hurlé, avant de le regretter. Ces nanas qui vous harcèlent font ce boulot de dingue pour gagner de quoi survivre, le gros nuage noir de la colère des gens dérangés au dessus de leur tête. Elles vont avoir mal au dos, au ventre, partout, vieillir comme des souris grises dans des bureaux sans âme, grillées par les ondes électro-magnétiques. Pas la peine d’en rajouter.
Merci, Madame - l' interrompre tout de suite -, je n’ai besoin de rien, au revoir. Clic.
Merde, ma sieste !
Non, pas de colère.
Pas de haine, pas de colère, pas de rancœur, de ressentiment.
A chaque instant, nous sommes attaqués par des stimuli, drôle, dégueulasse, inquiétant, préoccupant, chiant, pas normal, énervant, intolérable, indifférent, délicieux, incroyable, douloureux, affligeant, terrible, ou alors magnifique, super, ouais, avant de s'effacer, j'y crois pas, tout nous tourne autour et nous décoche des coups, comme un entraîneur. Au début, on se croit vraiment agressé, et on répond avec hargne et colère. Parfois, à force de ne pas savoir rendre les coups, et les arrêter, on se laisse couler dans l’apathie. Ca m’fait même pu mal. J'm'en fous. Je voudrais crever.
Mais quand on rend les coups avec l’intention de blesser, on se transperce soi-même. Chaque coup porté est un coup en retour.
Notre coach est bien meilleur que nous. Il sait frapper là où on a mal, alors que nous frappons dans le vide, jetons nos bombes dans la foule, notre hargne à notre famille, notre colère à nos voisins. Et il est là à tourner encore et encore, comme un moustique insaisissable et pan, dans le foie, pan, l’arcade, doucement, pour montrer qu’il fait de nous ce qu’il veut, ou plus fort, pan, l’estomac, merde, ça m’a plié en deux. Vie de merde. Je hais la vie et le monde entier.
Et puis, à force de s’énerver, on se fatigue. On prend le temps de réfléchir. Les coups s’espacent, ça fait moins mal. On ne les rend plus. On se doute bien qu’un tel adversaire pourrait nous tuer en un instant. A quoi joue-t-il, alors ?
Jouer ? Peut-être qu’il joue. Observons.
On dirait qu'il veut quelque chose de nous. Qu'on comprenne, qu'on apprenne. Plus on le devine, plus on comprend ce qu'il veut nous faire comprendre, apprendre, moins on souffre, et moins il nous embête. Il se met à nous faire des blagues, des signes, des surprises. L'ennemi s'est transformé en ami. Le meilleur ami.
Des caresses, des tendresses, des amitiés. Et de temps en temps, pour être sûr, ou pour purger un vieux truc pas encore complètement vidé, il appuie quelque part, et ça fait encore mal, il nous pond une embrouille, un test, comment vais-je sortir de ça, sans tout casser, sans retomber dans mes vieux schémas, esquiver, rendre du bon pour ce qui au fond n'est pas du mal ?
Nous avons les meilleurs coachs du monde, qui cherchent à nous hisser à leur niveau, et au-delà.
Merci à eux.