J'ai rencontré l'un des derniers weekends une jeune femme épuisée, tant le monde devient frénétique. Plus le temps de rien. Courir, courir, et s'effondrer, jusqu'à demain.
Qui n'en est pas là ?
Discuté avec un zingueur cet après-midi. Les zincs des gouttières faits fin XIXème duraient plus de 100 ans. Ceux des années 50 sont mûrs. Aujourd'hui, les chéneaux en alu ou en PVC éclatent sous l'impact des grêlons.
Tout le monde le sait : les voitures de 2011 sont merveilleusement accueillantes et sophistiquées, mais aucune n'atteindra l'âge d'une 2CV Citroën.
Tout est à l'avenant.
Le plus ridicule est dans l'arsenal (un mot que je n'invente pas, et qui dit tout de l'état du monde) des lois. Nul n'est censé ignorer la loi, dit la loi. Mais chaque jour, une nouvelle loi inapplicable vient proroger une ancienne que personne n'a eu le temps de comprendre, ou le temps d'appliquer.
Le temps devient fou. Les hommes qui croient au temps deviennent fous, le sont déjà, sans s'en douter un instant, tant est profonde leur folie.
Depuis le temps qu'on va dans le mur... Adolescent, je voyais déjà que nous allions tout droit dans le mur. Mais quel mur ?
Le mur du temps, justement. Ça, je l'ignorais, et maintenant je le découvre. Ça devient flagrant. Le mur dans lequel le monde commence à s'écraser, c'est le mur du Temps.
La frénésie s'empare de tous. Tout y concourt : Les salaires à peine versés, que déjà les prélèvements obligatoires et les échéances fatales ont tout absorbé. Le crédit déjà dénoncé par Jean Giono est un signe du basculement du Temps.
Les jeunes couples victimes du mirage de l"accession à la propriété" signent un pacte avec le Diable et rivent ainsi leurs chaînes. Lorsque - si - ils en réchappent, ils seront vieux et usés, parqués dans une ruine.
Personne n'y songeait. Le Diable a multiplié les sollicitations, les ronds de jambe, jusqu'à ce que tous deviennent fous et hypothèquent l'avenir. Hypothéquer le Temps ! Il fallait y songer.
Saturne, c'est Satan. Dans sa turne, il tourne et retourne les dés avant de les lancer. A lui, maître du Temps, tout appartient dès lors que tout est hypothéqué.
Le pacte avec le Diable ? Qui ne l'a pas signé ? De son sang, de son propre sang ?
A tous, il a promis la richesse, et maintenant que tout s'effondre en cendres, que l'or disparaît, il vient réclamer ses créances en ricanant.
Tous, nous avons ri des anciennes légendes. Faust était un souvenir littéraire. Une blague romantique.
Ça a changé. Les Grecs paient leur dette avec leur sang, et ne sont que les premiers. Le monstre réclame son dû.
Honore tes promesses et ta signature, dit-il en envoyant ses légions déferler sur les familles épouvantées. Moloch a faim. Je prendrai tes enfants, si tu ne paies pas. Ta femme, tes filles, jusqu'à la 8ème génération.
Mais une solution demeure, dans ce marché de dupes, et tous les anciens contes le rappelaient : être plus malin que le Diable.
Échapper au maître du Temps, c'est en sortir. Ceux qui vainquaient le Diable lui donnaient une victime de substitution - animale, équivalente à notre part animale - ou repoussaient sans cesse l'échéance en arguant de clauses imprécises. Parfois c'est à cause de sa sottise qu'il échoue.
Sacrifier sa part animale, c'est renoncer aux pulsions les plus grossières. C'est une évolution.
Retarder l'échéance, c'est échapper au temps-durée, au calendrier, avec ses échéances, pour entrer dans le Temps réel, où tout co-existe.
Quitter le temps, c'est sortir du drame, drama, l'action, dromos, la piste, la course. Dédramatiser. Vivre l'instant.
Un point à remarquer : le Diable ne saisit que ce qu'il peut : corps et âme. L'esprit lui échappe, comme toujours. L'esprit lui échappe car justement hors du Temps.
Ce qu'il saisit, c'est par la peur qu'il le tient. On dit "saisi de peur". Pas pour rien. Comment saisir celui qui dans l'instant ignore la peur ?
La chance qui nous échoit, à tous,collectivement, c'est que nous atteignons - enfin - le mur du temps. Il y a au moins deux solutions possibles : s'y écraser, et ceux qui n'ont jamais réussi, ou même pensé, à s'extirper de cette illusion mortelle s'y écraseront sans le moindre doute. C'est le cas de ceux qui redoutent les échéances, toutes les échéances, du crédit immobilier jusqu'au fameux Jugement dit dernier.
Et puis, la solution de remplacement, que j'invente, parce que je suis né homme, et donc libre d'inventer et d'ouvrir des portes là où je le veux : passer au travers.
Passer de la prison du temps, des dettes, des devoirs et des échéances au monde de la liberté.
Pour être tout à fait franc, je ne suis pas sûr qu'il existe une porte. Enfant, j'ai lu les histoires des plus célèbres évasions, de Latude à Casanova. Eux non plus n'avaient pas de portes. Et sont pourtant sortis des plus fameuses prisons.
Tentons notre chance. Inventons des portes. Les murs n'enferment que les morts.