Jamais content, me voici, pour l'avoir croisé au détour d'une ligne sur la piste d'un mot que chacun connaît : AZUR.
Je suis affligé de ce grave défaut : vouloir saisir le vrai sens des mots. Le vrai goût des choses. Le vrai fond des gens. Qu'azur traduise une nuance de bleu m'indiffère. Je veux manger ce mot.
A Mme VJ, je dis : il y a UR, OUR, AOR, qui désigne la lumière, en plusieurs langues, et peut-être qu'AZ a un rapport avec le monde des Ases, AZ-OUR, "lumière des dieux", pour désigner le bleu du ciel.
Quelque chose me chiffonne, cependant : les Ases sont les dieux du Nord, et le vocable UR est plutôt sémitique ou indo-européen. Quoiqu'il a existé, j'en suis certain d'après d'innombrables preuves, une langue-mère.
Incertain, je cherche sur le ouèbe. Comme d'habitude, je clique sur un certain nombre de liens qui se contentent de reproduire ad nauseam les mêmes généralités, sorte de copier-coller dont l'humanité est friande, puisque chacun passe le plus clair de son temps à répéter ce qu'il vient d'entendre.
Trouverai-je ? Pas sûr.
Mais je n'ai pas perdu mon temps : je découvre un texte splendide d'un qui m'était jusque là inconnu : Étienne Brunet.
Ce savant m'apprend en quelques phrases que l'on usa d'un saphir véritable pour lire les disques, et que le lapis-lazuli est, comme j'aurais pu m'en douter, est une pierre - lapis - azul, d'un bleu céleste.
Que l'azur vient du persan "lâdjourd".
C'est là que s'interrompt la piste.
L'existence est ainsi faite de pertes et de frustrations. Un matin, je me suis éveillé avec deux mots. Recherche faite, il semblaient venir d'un des plus anciens débris des temps, de la langue maori, et avaient un rapport avec la submersion.
Quoi de plus étrange, que des mots perdus qui parlent d'un naufrage et remontent ainsi à la surface, pour tomber entre les mains d'un qui ne sait qu'en faire ?
Les nains qui croient tenir le monde entre leurs serres devraient prêter un peu plus d'attention au mystère, qui enveloppe presqu'à l'infini le petit et tremblant territoire qui nous est échu.
"Mystère" vient du grec musterion, dont le sens est : ce qui est caché. On y entend mus, la souris (qui a donné le mot muscle, de musculus, petite souris, et la fleur myosotis, oreille de souris). La souris, qui vit dans l'ombre, derrière la réalité que perçoivent les hommes, connait la face cachée du monde. La souris est le symbole des révélations.
Curieuse convergence, à peine ai-je écrit ces mots que ma fille me parle d'éléphant. Or, l'énorme éléphant, selon la légende, redoute les souris qui peuvent s'engouffrer dans son nez. Même si ce fait peut être vrai, il reste l'aspect symbolique : l'éléphant qui représente le monde manifesté dans son incontestable énormité, que nul ne peut nier ou éluder, ce monde plie face à la minuscule et presqu'imperceptible influence du monde "caché derrière".
Si l'éléphant redoute la souris, c'est la souris que nous devons redouter, pas l'éléphant.
Or, tout ce qui se ligue pour nous effrayer relève de l'éléphant.
Les pantins qui s'agitent sur la scène, et qui se prennent pour des cornacs, que savent-ils du mystère ?
Ont-ils l'humilité requise pour passer par des trous de souris ?
Ou seront-ils les premiers jetés bas, quand la minuscule souris secouera sa puissante encolure ?
Willy Bosschem