Vierge de Nuremberg et autres delicatessen
J'ai horreur des villes.
Ce n'est pas nouveau. J'ai toujours eu une profonde répulsion pour les alignements de cages prétentieuses et boursouflées, ou criant la misère, selon les quartiers, et les défilés d'humains cloisonnés dans leur image volontairement neutre, désirable, agressive, toutes déguisées.
Traversant cependant par force le centre de cette cité titanesque et caoutchouteuse : Clermont-Ferrand, j'ai découvert (pas tout à fait, ce n'est qu'une confirmation de ce que j'avais pressenti ailleurs) que la ville moderne est profondément anti-naturelle, et anti-humaine : tous les arbres auxquels l'esprit urbain a délivré le permis d'exister en ligne droite dans le béton et les dalles de gravier enrobé ne portent que des fruits impropres à la consommation des hommes.
Ils ne sont qu'une sorte de rappel fétichiste d'une nature raclée de ses attributs nourriciers et protecteurs.
Nulle part, de pruniers, de pêchers, de pommiers ou de poiriers, de noyers dont pourraient se nourrir les démunis. Pas plus de cassissiers, framboisiers, groseilliers, noisetiers qui feraient la joie des enfants. Si l'univers minéral consent à héberger de la verdure, celle-ci doit absolument demeurer stérile et sans attraits.
La république est une vierge austère et dénuée du moindre charme. C'est un mannequin à la mode des seventies, squelette obscène privé de chair et des attributs de la féminité.
Seth, le dieu du désert est ici chez lui. Rien n'est fait pour l'homme, rien n'est donné. Tout se paie.
Cette sinistre mise en scène a sans doute pour prétexte le souci de protection des populations : glisser sur un fruit tombé, c'est dangereux. Sans parler du dard venimeux des guêpes et du caca des écureuils et des oiseaux.
Crever de faim est un moindre souci, puisqu'il est totalement nié et occulté. Le pauvre, parce qu'il est moche, malade et sans boulot doit crever rapidement et sans raffût. Il existe d'ailleurs un tas de corps de police à cet effet, à commencer par Paul en ploie (sous la tâche), dont le rôle est de radier à tour de bras le maximum de bouches inutiles.
La nature jadis féconde et bienveillante n'est plus maintenant perçue que comme menaçante et malveillante.
Voici venu le temps du onzième commandement : "Tu n'attendras ton salut que de la société des hommes". Et, si elle n'a pas le temps, la volonté ni les moyens de le faire : crève, connard.
L'homme moderne - sorte de contrefaçon de l'Homme, et certainement pas Fils de l'Homme - est enfin presque mûr pour se réfugier dans les bras maigres des vierges technologiques qui ne rêvent que d'épousailles mortifères.
Hitler et Staline, Pol Pot et Mao, ces grands précurseurs
- le dieu de l'efficacité et de l'hygiène totale les aie en sa sainte garde - ont montré la voie.
Suivons-les !