Hokusai
A l’instant de prendre la plume, je pense aux grands écrivains qui ont décrit par le menu les personnages adonnés aux eaux thermales, Madame de Sévigné la fine gazette, Octave Mirbeau l’ironique cruel des « 21 jours d’un neurasthénique », Maupassant l’exalté peintre de « Mont Oriol », et nécessairement, je laisse au vestiaire en même temps que mon peignoir humide toute vergogne.
Pas de honte à faire son petit dessin où de grands peintres nous ont précédés. Eux, c’est eux.
Les établissements thermaux de ces diverses époques étaient réservés aux riches, princes, marquises, industriels. Ceux d’aujourd’hui sont financés par la Sécurité Sociale, qui pour une fois n’engraisse pas la pieuvre médico-chimique du produit de son racket. C’est peut-être la seule branche encore naturelle de la médecine qui reste à notre disposition. Il est temps d’en profiter.
Exeunt les riches, que reste-t-il ? La classe moyenne, moyenne moyenne, moyenne basse, moyenne fatiguée.
Autour de moi, des êtres sans âge, entre 45 et 75, dirais-je. Tous l’air complètement idiot qu’on peut avoir avec un bonnet, obligatoire. Ils doivent penser la même chose de moi, front bas, nez luisant.
Pauvres corps de retraités n’ayant jamais pris soin d’eux. Tout le monde se connaît, car tout le monde vit à l’hôtel, va au casino, au restaurant, au spectacle, faire ses courses, pendant trois semaines. Certains reviennent chaque année. Pauvres corps trop gros, trop maigres, trop mous, trop durs.
Troupeau de souffreteux, drivé par les fiches horaires et le personnel, se pressant au portillon de la piscine – ouh, elle est froide – y’a du monde aujourd’hui – on s’est couchés vous savez-pas à quelle heure ? A huit heures et demi !!! – faisant la queue devant la toilette – mais enfin, qu’est-ce qu’y font là dedans ? – ronchonnant – y’a de la buée sur mes lunettes, j’y vois rien – et nous voici au poste.
La séance de gym valait le déplacement : trente ou quarante animaux que Buffon aurait pu classer de l’échassier au cétacé, dont moi, l’ours , peut-être, s’efforçant plus ou moins d’effectuer les mouvements indiqués par la prof de gym.
La prof, 25 ans, à peu près, pas vraiment jolie, mais blonde et faite au moule, le corps des sportives menues, en maillot et T shirt, qui vient de l’Est de l'Europe et parle le français de telle manière qu’il vaut mieux la regarder quand elle fait les mouvements qu’écouter. Mais la regarder, c’est pas un problème, ils ne font que ça, les mâles en pré-retraite sexuelle. Et ils draguent tant qu’ils peuvent la petite qui en est apparemment bien contente.
On se croirait à l’école : certains s’en foutent et font n’importe quoi, en se racontant la blague du jour, d’autres ne s’en foutent pas mais font n’importe quoi, d’autres font tout ce qu’il peuvent pour avoir un bon point, leur bonne volonté est touchante, et quelques uns travaillent pour eux.
Moi, j’arrive le matin à 7 h 15, et je repars vers 9 h 30. Je ne suis donc pas dans le secret des potins et micro-événements locaux, j’en suis navré pour vous.
Mais cette petite tranche de vie est déjà juteuse. Dernière chose que j’ai remarquée : dans la pièce de repos vouée au silence (une autre est faite pour ceux qui veulent parler, et ils sont légion), les trois ou quatre personnes présentes lisaient des magazines. Et deux chuchotaient.
Le plus difficile pour l’être humain, c’est bien le silence et l’intériorisation.