Christ aux liens, église de Salives, Côte d'Or
Depuis Edouard Schuré au moins, une partie de l’humanité rêve. D’être initiée. D’avoir des pouvoirs. Pouvoir, quel mot délicieux. Avec notre faculté d'identification, c'est tout bénef, dans l'immédiat.
L’initiation, tout un poème aussi. Selon le principe hiérarchique, il y a le menu fretin des initiés, c'est pas grand chose, puis quelques chefs de bureau sans doute, et puis les « grands » initiés. Pas des gamins. Certains sont même devenus des « maîtres ascensionnés », tout un programme.
Sans vouloir aller jusque là, le but est un peu éloigné, (c’est comme l’Annapurna le premier week-end de mai), ça se bouscule, ça joue des coudes et ça débourse les liasses aux portes de l’initiation. On se verrait bien maître. Maître étalon, pourquoi pas ?
Mais il faut un fait générateur, l’étincelle, dans un milieu prêt à s’enflammer. Faute de l’un ou de l’autre, le même scénario se déroule à chaque instant de la naissance à la mort.
Mais c’est quoi, au juste, l’initiation ?
Débutons comme toujours par l’étymologie : IN ITIARE, entrer dans. Dans quoi ? Dans le vif du sujet, bien sûr. Dans le lard. Le nôtre. Entrer, et désosser la bête, savoir comment elle fonctionne et pourquoi elle fonctionne ainsi. Pourquoi nous sommes des veaux, des larves, des cochons, des araignées, de vilains canards et pas Pégase ou les cygnes d’Odin. Pourquoi certaines dépouilles sentent la rose, et pourquoi les anges descendent parmi nous avec des masques.
Entrer, c’est renoncer à se regarder en rêve, de l’extérieur. Et c’est naturellement lorsque tout s’effondre que s’ouvrent les voies vers l’intérieur.
Les mots ne trompent jamais. L’eau qui reflète le Ciel s’accumule dans les dépressions du terrain et alors Le reflète.
Après un temps d’accoutumance, car il faut habituer le regard à voir les choses cachées, et non plus les choses projetées, nous trouvons en premier lieu un énorme système de chaînes, qui nous cloue et nous retient, comme Prométhée, comme Gulliver, et tant d’autres héros de la mythologie.
Ce qu’Alexandre dit le grand (pas par Diogène) a fait, trancher le noeud gordien, serait la mort immédiate. Car ce qui a été noué doit être patiemment défait, et pas par la violence.
Mouravieff, dans le tome I de Gnôsis, indique que l’homme, comme une cellule du corps humain est soumis à la Loi Générale, qui maintient les cellules à leur place pour le bon fonctionnement de l’ensemble, mais également à la Loi d’Exception, qui lui permet d’y échapper.
L’initiation serait donc la découverte par l’homme vulgaire d’une possibilité d’échapper à cette destinée collective.
Et c’est bien lorsqu’il s’aperçoit que, loin d’être libre comme il l’a toujours cru, il est serré dans d’étroites limites que l’homme accède pour la première fois à la lueur qui, mise à profit, lui permettra de dénouer un à un tous les liens.
Je reviendrai un autre jour sur d’étonnantes (et détonnantes) implications de la Loi d’Exception.
Restons en pour aujourd’hui aux chaînes :
« Nous pouvons dire, par exemple, que la faim, la servitude du travail pour assurer notre subsistance est l’un des facteurs de la Loi générale. La chaîne : instinct sexuel, reproduction, sollicitude des parents pour leurs enfants en est un autre. (…) Enfin, la peur et ses corollaires constituent le troisième groupe des facteurs en question » (Gnôsis, I ,p. 99).
On peut continuer la liste : la sensibilité au froid et au chaud, par exemple, et préciser certains corollaires de la peur : le respect de la hiérarchie qui est le ciment de ce monde.
Dans leur livre paru en 2009, « Guérir l’ego et révéler l’être », Bernadette Blin et Brigitte Chavas écrivent (p.167) :
« Sur ce chemin de détachement, nous sommes confrontés à toutes nos dépendances et à la difficulté de nous défaire d’habitudes et réflexes profondément inscrits dans notre corps, notre psyché et nos comportements au quotidien. Selon Angeles Arrien (les quatre voies de l’initiation chamanique, Vega 2004), les dépendances individuelles (nourriture, drogue, alcool, sexe) semblent être des symptômes beaucoup plus profonds que partagent la plupart des êtres humains. Quatre autres sortes de dépendances les éloignent aussi d’une vie plus libre : les dépendances à l’intensité, à la perfection, au besoin de savoir et à la fixation sur ce qui ne va pas.
La dépendance à l’intensité est souvent le fait de personnes qui ont une faible tolérance à l’ennui. Si les choses deviennent trop fades ou routinières, elles déformeront ou exagéreront l’événement pour se sentit vivre. (…) Elles ont besoin d’apprendre à exprimer l’amour.
La dépendance à la perfection appartient à des personnes intolérantes envers l’erreur et la vulnérabilité, qui investissent toute leur énergie à maintenir une image ou une façade au lieu de manifester qui elles sont. La perfection est le côté sombre de l’excellence et du juste usage du pouvoir.
La dépendance au besoin de savoir fait souffrir ceux qui manquent beaucoup de confiance. Il y a une contrainte et une boulimie de savoir et de compréhension. Tout doit être contrôlé et compartimenté. Les personnes deviennent dogmatiques, rigides, critiques et arrogantes. Ce sont les aspects négatifs de la sagesse, de l’objectivité, la clarté et le discernement.
La dépendance à la fixation sur ce qui ne fonctionne pas, au lieu de se tourner vers ce qui est efficace, est la quatrième dépendance. Si cette dépendance est très développée, il y a une tendance à mettre en valeur les expériences négatives et à leur donner des dimensions disproportionnées. Cette dépendance est le côté sombre des quatre manières de voir : la vision juste, l’intuition, la perspicacité et la perception.
(…) S’accrocher à la paix nouvelle, à la clarté, à l’ouverture est un attachement tout aussi néfaste au mouvement intérieur. »
Certaines officines prétendent détenir la seule véritable transmission. Pour René Guénon, « L'accession à cet « intellect transcendant », qui seul permet la réalisation spirituelle, est conditionnée au rattachement du postulant à une lignée initiatique traditionnelle : celles-ci sont en effet les dépositaires d'une « influence spirituelle » qu'elles transmettent à l'initié (ce qui constitue la transmission initiatique proprement dite, qui est comparable à celle qui est mise en œuvre dans certains rites religieux, par exemple celui de l'ordination des prêtres dans la religion catholique). En l'absence d'une telle transmission, il est impossible « d'arriver à s'affranchir jamais des entraves et des limitations du monde profane ».
N’étant moi-même qu’un millimaître débutant, je n’ai pas les moyens objectifs de discuter le bien fondé de cette impitoyable assertion. Je n’y ai simplement jamais cru, malgré l’immense respect que je porte à Guénon, et en particulier à ce livre sublime : « le Règne de la quantité et les signes des temps (1945) ». Je crois (mais peut-être n’est-ce qu’une croyance, une illusion, la projection de mon désir, de ma peur, une autre chaîne) que la Voie est moins élitiste, au départ, et que c'est exactement la raison pour laquelle le Christ a parlé de « nombreux appelés ».
Il y a moins d’élus que d’appelés, bien sûr, car c’est un gros boulot que de débusquer les chaînes. Quand on a vu les plus grosses, on n’a encore rien fait. Elles sont toutes emmêlées les unes aux autres, en défaire une n’avance à rien. On a vu, par exemple, avec les pionniers de la nourriture pranique, que pour défaire la chaîne de la faim, il faut vaincre la peur de mourir, laquelle découle de conditionnements qui sont autant de chaînes.
Et puis, comme le disent Blin et Chavas, s’arrêter, se reposer sur ses acquis, ses lauriers, c’est dangereux.
S’évader de prison pour s’endormir à l’hôtellerie, ce n’est pas le but. Une fois sur le chemin, il faut marcher.
Le but, vous l’avez compris, est de devenir enfin COMPLETEMENT DÉCHAÎNÉ*. Enfin. Ca passe par la mort, ou la renonciation à tout ce qui nous semblait aller de soi.
* Pour ma part, j'aimerais vraiment être complètement déchaîné. C'est que, petit, on me disait souvent: "Mais, tu es complètement déchaîné !". C'était peut-être vrai, mais hélas, je me suis laissé mettre en cage depuis.