L'un des plus grands - et prolifiques - écrivains du 20ème siècle est, selon moi, M. Raymond Bradbury, auteur, entre autres merveilles des "Chroniques martiennes" et de l'irremplaçable "Farenheit 451", mis en images par François Truffaud.
Ce livre dont j'ai déjà parlé est en tous points prémonitoire de l'assaut général contre la culture et la connaissance. En trois mots, c'est l'histoire de la révolte d'un pompier dont la mission consiste à brûler les livres pour garder sous contrôle un monde dont nous approchons dangereusement.
Si nous n'en sommes pas encore parvenus à ce point, l'analphabétisme galopant, la débilité audiovisuelle et l'acculturation forcée en préparent la voie.
Si nous n'en sommes pas là, nous voici par contre sur le point de perdre une autre liberté fondamentale, fondamentale comme aucune autre, touchant à l'être même de l'homme : la liberté de produire ou de récolter sa propre nourriture, ce qui est une communion libre avec le monde où nous existons.
Les progrès constants, malgré quelques revers de Monsanto sur le front américain, le jugement inique - autant dire purement satanique - de la cour de justice (le tout en minuscules) européenne, condamnant Kokopelli et rejetant par là même le droit des hommes à disposer d'eux-mêmes sont autant de victoires de l'immonde saloperie en marche.
Les résistants de Bradbury apprenaient des livres par coeur, afin de pouvoir les dire autour des feux qui les rassemblaient, fugitifs pourchassés. Cela est encore possible. Je ne sais aucun livre par coeur, certes, mais je suis capable d'enseigner des jeunes des heures durant, et certains le recherchent. Sur ce front, l'espoir demeure, pour un peu de temps.
Mais comment lutter contre le monstre qui veut nous nourrir de force de déchets du pétrole comme des porcs industriels ?
En faisant provision de graines non stériles, en continuant d'en semer et d'en récolter les graines tant que ce sera possible. En apprenant à reconnaître les plantes sauvages comestibles ou curatives. Ces connaissances peuvent être oralement transmises. Je sais que des directives ont été données aux services de gendarmerie afin d'arrêter les cueilleurs de psilocybes.
On peut donc s'attendre à ce que tout cueilleur d'orties, de grande berce ou de pissenlits soit tôt ou tard appréhendé ou dilacéré par une foule hurlante.
Restera alors encore moyen de jeter dans la nature, les fossés, les talus, les berges des ruisseaux des graines d'amarante ou de n'importe quelle plante rebelle, ne serait-ce que pour leur donner une chance de s'accrocher et de se faire de nouvelles niches pour un avenir insondable.
Face à la terreur qui s'annonce, voir au delà.
Et, si rien de tout cela n'est plus possible, accepter.
Car la fermeture de toutes les portes extérieures ne peut pas et ne doit pas suffire à nous effrayer.
Il reste à ouvrir les portes qui, en nous,loin de cet enfer, ouvrent sur la liberté et la Présence qu'aucun fauve, même le plus démoniaque et le plus technologique, ne pourra jamais nous enlever, car sur ce terrain nouveau, aucune méchanceté, aucune haine, aucun calcul ne pourront nous suivre.
C'est peut-être comme cela et à cet endroit que se séparent ceux que le Christ appelait "les doux" des furieux : là où certains découvrent une passerelle vers un nouveau monde, les autres ne voient rien et restent enchaînés à leur violence toujours inassouvie.