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18 décembre 2013 3 18 /12 /décembre /2013 19:38

Mes ami(e)s invisibles, je crois que je vais de nouveau baisser pavillon.

 

Lassitude, certes, mais aussi le sentiment d'avoir tout dit. Tout ? Quelle prétention... tout ce que j'avais à dire serait plus juste.

 

Le téléphone sonne pour la nième fois, et pour la nième fois, une esclave formée en dix minutes cherche à me vendre une merde quelconque, fabriquée par d'autres esclaves et dont je n'ai nul besoin.

 

Je songe au cachot du goulag où l'on interrompait sans cesse le repos du malheureux qui l'occupait. La société moderne a acquis ce pouvoir sur nous, sur nous tous, sur chacun de nous. Il n'est plus possible, sauf à tout débrancher - et un jour ce sera interdit, j'en mets ma main au feu, comme dans 1984 - de passer deux heures en paix chez soi au coin du feu.

 

Cette merde immonde de prostitués qui forment le "gouvernement" de cette poubelle qu'on appelle france légifère à tour de bras pour transformer ce territoire en désert culturel et intellectuel, en sous-continent, en bidonville, en camp, en mouroir organisé sans qu'aucun contre-pouvoir ne s'élève.

 

La loi du genre se révèle juste, peut-être là où on ne l'attendait pas : personne n'a plus de couilles. Où sont les généraux putchistes d'antan, qui t'auraient pris d'assaut ces pourritures apocalyptiques et les auraient proprement pendus ?

 

On les attend toujours. Trop occupés à faire les guerres dégueulasses de l'Empire, peut-être. Plus de couilles, plus d'honneur, nulle part. La profondeur de la gangrène est stupéfiante. 

 

Ces minables homoncules ont pondu une loi, une des plus grosses saloperies que j'ai jamais vue, contre les clients des putes. Contre des gens qui n'ont, le plus souvent, que les putes à baiser, les seules femmes qu'ils puissent serrer contre eux, les seules à les écouter.

 

Dans n'importe quelle société digne et juste, on aurait roué les proxénètes, ces porcs immondes qui vendent et battent des femmes, et permis à ceux qui souffrent de solitude d'avoir des rapports sexuels et humains minimum. Ici, nos vertueuses racailles politiques font l'inverse.

 

Mais tolèrent par contre que n'importe quelle pute téléphonique vienne te racoler à domicile pendant ta sieste, ta méditation, ou ta lecture.

 

Ce monde est immonde. Le plus sale monde qu'on puisse imaginer. Le stade juste en dessous des camps de concentration, quoi que ces derniers ont au moins l'avantage de la franchise.

 

Ici, l'hypocrisie est à son comble. Satan est le père du mensonge, et ici, Satan est roi.

 

Voilà, j'ai jeté mon cri de colère. Je ne suis pas guéri de la colère. Je fais tout pour m'en guérir, docteur, mais c'est vraiment dur.

 

Tant de mensonge, tranquille, épanoui, à l'aise, triomphant, savourant son triomphe, tant de fausseté...

 

Ce cercle infernal ramène toujours à soi-même, en dernier ressort. Cherchons la paix à l'intérieur, si l'extérieur est en guerre. Cherchons y la justice, et la justesse, si les fourbes gagnent sans cesse. Cherchons y l'honneur, si les crapules ricanent et la pureté, si elles se vautrent.

 

C'est pourquoi cette crasse est gerbante, mais salutaire.

 

Une espèce - que l'Univers me pardonne une telle irrévérence de comparer un troupeau de porcs à une plante sacrée - d'ayahuasca en costume cravate. Vomitif, et curatif, au fond. 

 

Voilà ce que m'inspire cette flambée de colère, qui brûle un reste de rancoeur.

 

Mais tout cela, c'est la nième fois que je le dis, sous d'autres formes.

 

J'ai parfois l'impression de tourner en rond.

 

Alors, je vais faire un nouveau brèque. Je reviendrai quand j'aurai autre chose à dire, quelque chose de neuf.

Comme une limace avant le gel, je vais m'enterrer. Descendre.

 

Les amateurs n'ont qu'à rester abonnés.

 

Merci beaucoup à tout le monde pour tout ce temps passé ensemble.

 

PS : pour qui voulait suivre le fil de Lila, elle est en panne aussi. Attendons le dégel.

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30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 13:13

J’ai commis à deux reprises, sous la pression de certains clients, l’erreur de m’affilier à des réseaux dits sociaux. A peine le bout du doigt mis dedans, que j’ai fait aussitôt demi-tour.

 

Mais ces gens, ce système poisseux me poursuivent. J’ai balancé les deux trucs dans les spams, mais ce matin encore, l’un a franchi la limite : VJ, connaissez-vous Machin ?

 

Non, je ne le connais pas. J’ai déjà du mal à me connaître moi-même, et ça me semble bien plus important. Alors Machin, j’ai bossé pour lui une fois, je ne sais même pas si je le reconnaîtrais. Aux chiottes, Machin. Indésirable.

 

Et qu’est-ce que ça peut te foutre, stupide machine ? T’es de la police ?

 

Oui, sûrement. L’œil qui prétend tout voir. Alors vois que tes manigances et tes façons d’employer un mot pour un autre : connaître, c’est tellement énorme que toi, spécialement, machine, et ce qui va avec, ne me connaîtrez jamais. Saurez tout de moi, oui, à force de m’espionner. D’autant que je ne cache rien. Mais pénétrer mon intimité, le Saint des Saints ?

 

Voilà la pression mise sur le plongeur en les eaux troubles de ce monde.

 

T’es qui ? Tu veux quoi ? Regarde ici, écoute ça. Choisis. Exprime-toi. Implique toi. Change le monde. Vote. Bouge toi. Il y a quelques années, le maire de ma commune est passé, pour me proposer d’être conseiller municipal. Vous serez le prochain maire, m’a-t-il dit. Vraiment ? Déjà que je n’avais pas la moindre envie d’aller entendre des âneries et des trivialités sur l’entretien des chemins et les fonds de culotte de pierre et paul, là, tu me la coupes. J’ai poliment renvoyé l’homme à ses affaires.

 

Parce que, plus que la police, c’est la Polis qui nous veut. Réseau, c’est filet, bien sûr. Te prendre, te ficeler dans la res publica. Alors que la res unica est le seul but vers lequel je tends.

 

Polis, c'est cette racine PL qui sous-tend les mots pool, plein, foule, full, qui désigne ce qui a horreur du vide, de la vacuité, du silence et de l'abandon. Un truc qui te veut, qui veut te garder en son sein, un groupe qui préférera te tuer que te laisser t'émanciper. Mère castratrice. 

 

Bien sûr, qu’il faut être dans ce monde. S’occuper des autres et de leurs besoins. De nous, et de nos besoins. Mais en devenir la proie ?

 

C’est là qu’une expression comme « chevaucher le tigre » prend son sens. On dirait aujourd’hui « surfer sur la vague ». Demeurer en contact avec l’énergie de l’existence, ne pas s’y faire broyer.

 

Si on me demande : t’es de la polis ? Je répondrai : ma polis n’est pas de ce monde. Allez chercher ailleurs.

 

Foutez-moi ce qui vous est étranger : la paix.

 

 

 

 

 

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28 novembre 2013 4 28 /11 /novembre /2013 12:32

Vous n'aimez pas les gens, ai-je entendu. Vous réservez votre savoir à qui vous estimez pouvoir l'entendre. C'est injuste.

 

Mme VJ, de son côté, me confie : je me demande si j'ai vraiment un coeur. Parfois, je suis dure, inflexible, j'ai l'impression d'être sans amour.

 

Alors, j'ai ces comparaisons : devant un bunker, tu ne viendras pas dire aux soldats fous de peur, qui se croient ennemis que tu les aimes.

 

Même si tu les aimes, tu attendras que la guerre soit finie, leur guerre, qu'ils aient posé leurs armes, leurs uniformes, leur peur, leur colère et leur rancune, avant de les prendre dans tes bras. Sinon, ils te tueront.

 

Oui, dit-elle, mais parfois, des gens auraient besoin que je m'occupe d'eux, que je les rassure, mais je ne suis pas prête...

 

Et moi, si tu dois partir bosser à 14 h, que tu as encore vingt trucs à finir, que j'arrive à 13 h 30, pas forcément rasé, ni lavé, que j'ai bossé dehors, que je pue la sueur, et que j'ai un élan d'affection, te sentirais-tu obligée de me prendre dans tes bras et de me dire : je t'aime, mon amour ?

 

Si tu réponds oui, je ne l'accepterai pas. 

 

Aimer les humains, ce n'est pas tout accepter d'eux. Leurs miasmes, leur odeur, l'ignominie à laquelle ils s'identifient et s'accrochent.

 

Accepter ça, serait les conforter dans cette gadoue, leur fermer la porte principale.

 

Être bienveillant et ouvert ne signifie pas qu'on ouvre sa maison et son coeur à tous les diables qui passent.

 

Ce n'est plus de l'amour, c'est de la soumission, et la normalisation du pire.

 

La rencontre est toujours vers le haut.  

 

 

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23 novembre 2013 6 23 /11 /novembre /2013 08:48

Le gars qui est chargé de l'enseignement des humains a fort à faire, mais il est malin. Cette nuit, juste avant que je m'éveille, il m'a glissé une image devant les yeux, afin que je m'en souvienne : le monde était une sphère, comme une grosse fleur ronde, genre cosmos où les pétales seraient piqués, ou comme un gigantesque oursin : sur toute la sphère, des tiges étaient plantées.

 

Mais elles étaient reliées deux par deux, à l'intérieur. Quand j'en saisissais une, celle d'en face se décrochait et tombait.

 

Alors j'ai pensé à ce que disait René Guénon des circonstances actuelles du monde : nous vivons maintenant, à l'âge de la récapitulation, les possibilités qui n'ont pas été choisies au cours des âges. 

 

Dans le monde du bien et du mal, nous choisissons ce qui nous semble bien et hop, ce qu'on ne voulait pas voir finit par nous retomber dessus.

 

Quelle embrouille !

 

Si l'on accepte de vivre ce qui nous semblait mauvais, peut-être qu'on va le réunir avec son contraire ?

 

     

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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 11:27

Nous faisions ce dimanche matin là la queue au supermarquette. Dans l'une des files parallèles, un gros gars du coin toisait tout le monde d'un air éminemment supérieur et assez belliqueux, de sa caissière aux autres membres de la horde, dont une majorité d'infirmes et de petits vieux.

 

Cette façon de faire grotesquement animale m'a rappelé une vieille blague sexiste, censée affirmer la supériorité masculine : "Les mecs sont plus zintelligents que les gonzesses, parce que, euh euh, là le mec commence à se marrer, la cervelle, ma poulette, elle est livrée avec les couilles."

 

Fin de citation. Elle est vraiment excellente. Pour celles et ceux qui ne la connaissaient pas, c'est le moment de prendre des notes.

 

Le gars en question, il avait l'air d'en avoir eu une, de cervelle, faite rien que pour ça, en réalité. S'il en avait pas eu, il aurait vraiment eu du mal à ouvrir un truc aussi compliqué qu'une braguette, quoique l'invention de la fermeture éclair a beaucoup simplifié les choses, dieu soit ici remercié pour sa mansuétude, à sortir son tuyau, à viser le trou, puis vice versa, remballer l'engin, etc.

 

D'ailleurs, moi qui fréquente les toilettes pour hommes (enfin, ce qui y ressemble), j'affirme qu'il y en a beaucoup qui ne parviennent pas à éviter les bords. Parole d'homme ! Et il m'arrive les jours de grand vent d'oublier de refermer le bastringue, c'est vous dire !

 

Il semblerait donc que cette vieille histoire de tandem couilles/cervelle soit un peu tendancieuse.

 

Elle ne suffit pas à prouver que les femmes soient moins intelligentes que les hommes, et de loin. Certes, elles ont plus de facilité à faire pipi. Pas besoin de viser, suffit de s'asseoir.

 

En conclusion, et c'est mon avis, n'en déplaise à mes collègues livrés avec, si le bon (ou le méchant) dieu a donné à tout le monde la même cervelle, il est à craindre que le volume requis par les mâles pour viser droit les prive, pour certains, d'une part importante de la masse potentiellement disponible, ce qui était manifestement le cas de l'exemplaire susdit.

   

Cela n'implique pas nécessairement que leurs compagnes soient plus éveillées, hélas.   

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13 novembre 2013 3 13 /11 /novembre /2013 11:21

Dans notre campagne reculée, la factrice passe entre onze et treize heures.

 

Quand elle a un colis ou un recommandé à déposer, elle klaxonne en passant devant la maison.  Quand on est là, on sort.

 

Ce jour là, j'avais pris le courrier dans la boîte en rentrant vers midi.

 

Nous déjeunions tranquillement lorsqu'une voiture est passée en klaxonnant.

 

"Un recommandé" dis-je en me levant de table.

 

"Mais elle est déjà passée !" dit Mme VJ.

 

Bien sûr, qu'elle est déjà passée. Ce n'est pas elle qui a klaxonné. Mais, comme le chien de Pavlov qui salivait au coups de sifflet, je me suis levé mécaniquement.

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2 novembre 2013 6 02 /11 /novembre /2013 09:16

Texte publié pour la première fois ici le 27 février 2010, puis en février 2012 

  

aubusson 0409 019
Lorsque nous serons libres, vous serez en paix.

Quand vous serez en paix, nous serons libres.

 

 

Frères humains qui avant nous viviez, et qu’on dit morts parce qu’on vous a vus porter en terre, je crois que vous vivez encore. Je crois que tout ce que vous étiez, vous l’êtes encore. Votre courage et votre couardise coulent dans nos veines. Votre fierté et votre lâcheté imprègnent nos pensées et nos actes.

 

Mes yeux ne voient pas à l’intérieur des chairs, et je ne sais pas si vous avez marqué de votre empreinte ce que la science lourde de ses microscopes appelle des gènes.

Mais je peux lire en moi et dans les autres hommes les passions, les espoirs et les peurs qui nous agitent, et je sais que dans cette agitation, cette fièvre, ce bruit, vous êtes là, tapis.

Vous faites en nous ce que vous avez toujours fait et cherché à faire : continuer à exister.

 

Les hommes vous connaissent, mais ne vous reconnaissent pas. Vous êtes ce qu’ils nomment leurs habitudes, leurs bons ou leurs mauvais côtés, ces horreurs de petits péchés mignons, ce qu’ils ne savent pas retenir, ce dont ils ne peuvent s’empêcher, qui les entraîne dans la pente et qu’ils croient être eux-mêmes.

 

De temps en temps, l’un de nous s’éveille, voit sa poitrine pleine de paille, ses membres secs et décharnés, et sait soudain qu’il est mort, mais aussi qu’il n’est pas cela, que ce cadavre n’est pas le sien, puisqu’il peut ressentir sa propre mort. Et sa peur le réveille, le redresse. Il se relève alors d’un bond, secoue ses vêtements, comprend que ces vieilleries, ce n’était et ce n’est pas lui, vous rend à la poussière, et se met à vivre, enfin.

 

Ce sont vos espoirs et vos peurs que nous perpétuons, et vos erreurs que nous recommençons sans cesse. Recommencer ce que vous avez loupé, comme si enfin vous alliez le réussir, recommencer ce que vous croyez avoir réussi, car c’est si bon…

 

C’est comme si vous nous rêviez, pour continuer à exister dans ce rêve. Mais vous nous avez rêvés : quel grand-père, quelle mère n’ont pas rêvé la vie de leur progéniture ?

 

Vous ne faites qu’empêcher notre naissance, la naissance du neuf.

 

Inlassablement, votre rêve mortifère a enfoui le présent, le nôtre, sous des millions de couches de nuits, de jours, de bâtiments et de décombres.

Inlassablement, à travers nous et par nos mains, vous avez bâti, détruit, aimé et guerroyé.

 

Frères humains décédés par lesquels l’existence en ce monde est venue jusqu’à nous, je souhaite vous dire aujourd’hui que ce jeu prend fin. Vous remercier pour ce que vous nous avez légué, mais vous faire comprendre que maintenant nous devons nous défaire de ce fardeau, votre fardeau, qui n’est pas le nôtre, et le jeter à la rivière. Car vous ne savez plus que répéter et répéter sans cesse ce que vous avez appris, ce que vous avez perdu alors que nous n’en pouvons plus de vivre des histoires qui ne sont pas les nôtres. Des histoires de savoir et de pouvoir. Nous ne pouvons pas accepter de mourir pour vous, avec vous, et en vous. Sous votre pesanteur, nous sommes des fantômes, et vous êtes nos chaînes.

 

Nous voulons l’amour et la fraternité, le rire et la paix et vous ne savez que recroqueviller vos doigts sur vos avoirs, mettre le monde sous clef, et construire des flottes de bombardiers pour défendre ce qui n’est plus.

 

Nous sommes venus ici pour vivre notre vie, pas la vôtre. Pour découvrir de nouveaux mondes, non pour perpétuer vos empires poussiéreux, vos pyramides croulantes, vos systèmes armés tellement perfectionnés qu’ils vous empêchent de mourir, vos carapaces antédiluviennes.

 

Je vous prie poliment et avec le respect qu’on doit à tout ce qui un jour a existé, espéré et aimé de partir enfin, d’accepter de nous laisser Être enfin ce que Nous Sommes. Morts, vous serez en paix, et cette paix, nous seuls pouvons vous la donner. Car nous ne vous chassons pas, nous ne vous récusons pas, nous n’avons pas honte de vous. Au contraire. Nous vous sommes reconnaissants pour tout ce que nous avons reçu de vous. Nous en avions besoin, mais aujourd’hui, nous n’en voulons plus.

 

Aujourd’hui, nous devons enfin nous rendre libres. Libres de voler, comme vous ne l’avez jamais fait, sans emporter de bombes sous nos ailes, juste pour la joie du vol. Libres d’aimer sans faute, ni regret, ni peur. Libres de voyager d’esprit en esprit, de nous délivrer de la matière tenace dont vous étiez faits. De desserrer les griffes que vous avez crispées sur le monde et le temps. Des poignées de cendres.

 

Lorsque nous serons libres, vous serez en paix. Quand vous serez en paix, nous serons libres.

 

C’est maintenant que nos voies se séparent, pour notre bien commun.

 

Je prie donc ce soir et à chaque instant dorénavant pour que vous trouviez enfin la paix et le sommeil.

 

Et nous la Vie.

 

 

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27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 10:42

Le blog a une lectrice dont je ne tairai le nom pour éviter les pousuites (de grizzlies, de surmulots, de phacochères ou de chauves-souris) qui estime que ce que fait l'homme, en gros (je schématise, mais pas tant) c'est vilain, c'est pas beau, c'est méchant et ça détruit tout.

 

Et que tout ce qui est beau est le produit de la nature.

 

Je pourrais d'abord objecter que la nature est méchante et détruit tout dans un recyclage permanent - je renvoie à cette imparable nouvelle de Buzzati -, mais je préfère prendre le problème par un autre angle.

 

La nature fait naître (comme le nom natura l'indique) des millions, des milliards de formes différentes. Certaines sont appropriées à l'entretien de la vie humaine, d'autres non.

 

Manger un cèpe ou une ammanite phalloïde n'a pas le même effet sur l'existence humaine. C'est un constat.

 

Certains produits sont inconsommables tels quels : essayez de manger une olive sur l'arbre, avant sa désamérisation, vous verrez. 

 

Mais quel régal, et quelle source de santé et de lumière que la précieuse huile d'olive !

 

La nature l'a fait naître, l'homme l'a transformée.

 

Peut-on dire quel est le principe supérieur, celui qui est le plus admirable, le plus bénéfique ?

 

Non, je ne le crois pas.

 

Je crois que la Nature et l'homme sont faits pour se compléter, et non s'opposer.

 

Il existe deux formes d'opposition : celle qui consiste à penser que la nature est une saloperie à éradiquer; et celle qui considère l'homme comme un fauteur de troubles à éradiquer.

 

Pour l'alchimiste, les deux doivent s'épouser.

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15 octobre 2013 2 15 /10 /octobre /2013 13:31

Dans la France rurale de mon enfance, il y avait un certain nombre de personnes qui avaient plus ou moins connaissance des secrets de famille : le curé, le notaire, le médecin. Le facteur aussi, s'il prenait le temps de lire le courrier en douce.

 

L'un connaissait les turpitudes et les lumières morales, le second l'état réel des finances, le troisième savait des femmes des choses que les maris eux-mêmes ignoraient.

 

Ces trois là étaient le socle de l'autorité magique, qui primait sur l'exécutif : le juge, le gendarme, le soldat.

 

Le clergé étant omniprésent, une foule d'expressions en gardaient l'empreinte : "Cette fille, on lui aurait donné le bon dieu sans confession", hasardait ma mère.  "Des huitres, je pourrais en manger autant qu'un curé peut en bénir", disait mon père.

     

Des rigolos, eux, n'hésitaient pas affirmer que les enfants de l'école s'étaient précipités sur le goûter "comme la vérole sur le bas clergé", alors que l'expression commune était "comme la misère sur le pauvre monde".

 

A propos de donner "le bon dieu sans confession", il faut comprendre que ce serait "donner la communion sans (entendre préalablement la) confession".

 

Ce qui revient à mélanger deux pratiques : l'une religieuse (la communion, censée relier au Christ et à la communauté), l'autre thérapeutique (la confession).

 

L'abandon de la pratique religieuse ne m'étonne pas, et me semble saine, dans la mesure où c'était un bouillon de cultures disparates, incomprises le plus souvent des fonctionnaires et des administrés du régime religieux.

 

Mais en jetant l'eau du bain, on a balancé le bébé.

 

Il est évident, me semble-t-il, que tout ce qui relève de la psychothérapie au sens large est venu colmater la perte des excellentes pratiques que pouvaient constituer - lorsqu'elles étaient pratiquées avec intelligence et bienveillance - la confession, et son corollaire "l'examen de conscience".

 

La première déchargeait les consciences, la seconde amenait à voir et comprendre les mécanismes secrets de la culpabilité, de la honte, de la vanité, de l'orgueil, de tous ces mouvements qui se font dans l'obscurité, que nous ignorons naturellement, ou qu'au contraire nous croyons être nous, alors qu'évidemment, " Je est un autre".

 

L'avantage de la psychothérapie, par rapport à ces pratiques en voie de disparition, c'est que nous n'attendons plus le pardon d'un dieu extérieur.

 

Nous cherchons à percer de plus en plus loin le mystère qui nous constitue. Nous cherchons à vivre en paix avec nous-mêmes. Nous cherchons à vivre en paix avec le monde et les autres.

 

C'est pourquoi nous n'avons plus besoin d'autorités extérieures, mais juste d'avis, quand nous les sollicitons.

 

Car, nous le savons, l'autorité véritable parle en nous, lorsque nous sommes enfin prêts à la laisser parler et à l'entendre.

 

 

 

 

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20 septembre 2013 5 20 /09 /septembre /2013 12:00

Nous allons visiter ensemble, si vous le voulez bien, la maison de mes parents vers l’an 1960, un lieu et un temps qui n’existent plus que dans ma mémoire.

 

Ensemble, c’est-à-dire vous, moi, qui frappe les touches de mon clavier, un demi-siècle plus tard, et qui rassemble les fils enchevêtrés des souvenirs, mais aussi l’enfant qui fit ce voyage dans les profondeurs. Lui ne se souvient pas, il ressent encore à l’identique. Là, le temps est aboli. Quand il parle de l’obscurité, ce n’est pas un mot qu’il emploie, comme je le fais, pour décrire l’absence de lumière, non, c’est de l’obscurité vivante qu’il parle, celle qui s’assemble autour de lui et grouille de larves suintantes et d’araignées froides et griffues, c’est d’un mal actif et sournois qui donne la chair de poule et fait battre le sang dans les veines comme un animal qui court pour échapper à un tigre. Quand il évoque ses parents, son sentiment évolue en fonction de sa peur, de sa haine ou de sa gratitude, comme il les ressent à l’instant précis que j’exhume du passé. Ce qu'il dit de son père, par exemple, qui peut paraître dur, ce n'est pas ce que le narrateur a finalement tiré des rapports avec son père, au cours des années suivantes, mais bien ce que l'enfant de l'époque ressentait, à vif.

 

Cette maison, lieu de l’aventure, nous la visiterons non pas de l’entrée au grenier, comme font les agents immobiliers et leurs clients, mais depuis ma chambre, sa chambre, au long d’une odyssée nocturne qui s’est réellement déroulée (dans la mesure où le monde qui nous semble réel n’est pas qu’un rêve).

 

Le monde réel est-il réel, ou n’est-il qu’un rêve ? C’est le véritable sujet de cette histoire, comme la fin le montrera. Le reste n’est que décor et péripétie.

 

Ce voyage nocturne sert de trame à une masse de souvenirs qui remontent de l’enfance. Certains lui sont postérieurs, mais si dans la trame du temps ils semblent se succéder, ils ne forment qu’un paysage où tout finit au loin dans une brume presque uniforme.

 

C’est d’un monde entier qu’il s’agit, un monde que je vis et découvre en même temps que vous.

 

Commençons.

 

En ce temps-là, souffrant d’énurésie, ce qui m’attirait les foudres maternelles, je prenais le plus grand soin à vider soigneusement ma vessie au moment de me coucher. J’avais six ou sept ans, âge auquel un garçon digne de ce nom, qu’on allait envoyer au pensionnat deux ou trois ans plus tard se devait de savoir gérer les sollicitations de la nature.

 

J’apprenais.

 

Au beau milieu de cette nuit là, heureusement, la pression m’avertit nettement de l’urgence d’avoir à me lever pour évacuer le trop plein menaçant.

 

C’était une première. Quelle chance ! D’habitude, ça partait tout seul, et je finissais la nuit dans une flaque d’abord brûlante, qui se glaçait rapidement sur l’alèse en caoutchouc.

 

Si elle commençait mieux, l’aventure ne faisait cependant que commencer. Il fallait maintenant que je sorte du lit bien chaud, que j’allume la lampe de chevet, que j’enfile mes pantoufles pour me rendre aux toilettes.

 

Ce n’était pas chose facile, on le verra. La maison était vaste, construite sur deux niveaux d’habitation ; les uniques toilettes de l’époque étaient à une extrémité du rez de chaussée, ma chambre en diagonale haute opposée.

 

D’abord ouvrir la première porte du sas qui me séparait de la chambre de mes parents, puis la seconde, à la lumière de la lampe à l’abat-jour crème. Ces deux portes ne m’empêchaient pas d’entendre le ronflement épisodique ni les grognements paternels, pas plus que les énormes pets de même provenance qui devaient, vue leur ampleur, soulever les couvertures.

 

Dans la maison, deux êtres étaient ainsi soumis à la douane parentale : la bonne, et moi.

 

La bonne avait de seize à vingt-deux ou trois ans, selon l’arrivage. Dans mon souvenir, cinq ou six se succédèrent, pour un temps plus ou moins long. Les familles de fermiers de la région mettaient ainsi une de leurs filles dans une « bonne place », ce qui se présentait de la façon suivante : Se lever à six heures, faire une toilette de chat dans un lavabo, éteindre, traverser le cabinet de toilette de ma mère, ouvrir une porte, descendre deux marches, traverser la chambre de mes parents depuis une direction opposée à la mienne, ce qui éveillait ma mère, descendre pour d’abord décendrer puis allumer le feu de la cuisine, puis celui de la grosse chaudière en fonte gris argent qui se trouvait dans l’entrée, préparer le petit déjeuner, puis tout au long de la matinée s’occuper de laver et sécher le linge, sans machines, de laver et préparer les légumes qu’apportait le jardinier, faire les lits, plumer les volailles, faire des gâteaux, la cuisine, sans oublier de rajouter de l’eau dans la bouilloire où rissolait une coquille d’huitre de plus en plus obèse du calcaire qu’elle lui arrachait, mettre le couvert, déjeuner rapidement, faire le service, débarrasser, faire et ranger la vaisselle, employer l’après-midi à repriser, repasser, ranger le linge, balayer et laver les sols, nettoyer les vitres, cirer les chaussures et les meubles, battre les tapis, faire les confitures et les gâteaux secs à la crème de lait et les serrer dans une boîte en fer, aller chercher les fromages secs dans leur cage grillagée, jeter les fruits blets aux cochons et rajeunir la coupe de fruits, donner le pain sec aux poules, les restes de viande aux chiens avec leur soupe de riz, j’en oublie, garnir et regarnir les paniers d’osier et les feux des brouettes de bois ou des seaux de  charbon qu’apportait encore le jardinier, enfin préparer la soupe et les restes qui servaient au diner, mettre le couvert du soir, dîner, servir et desservir les maîtres, débarrasser, faire la vaisselle et la ranger, dire au revoir à la famille avant de monter à sa chambre, laquelle se trouvait donc séparée de celle de mes parents, comme je l’ai dit par un cabinet de toilette où ma mère faisait ses affaires de femme, et d’où on pouvait observer et surveiller ce qui se passait dans la cour.

 

Plus tard, quand j’eus suffisamment grandi, je découvris qu’on pouvait aussi observer la cour depuis le palier de l’escalier.

 

La chambre de la bonne avait été prise sur un grenier vaste et terrifiant, où dormaient d’immenses armoires pleines de vaisselle dépareillée et poussiéreuse, de boîtes qui contenaient des lettres jaunies, à l’encre violette ou ocre, des cartes postales reçues et conservées, des bijoux en toc, des liasses de journaux attachées par des ficelles croisées de chanvre. Dans un angle, une énorme caisse de cendre de bois où dormaient les gros jambons dont je raffolais. Le grenier ouvrait par une lourde trappe de planches à poulie puis un escalier rébarbatif de pierres inégales sur une remise à bocaux qui devint plus tard la chaufferie. Ma mère veillant sur toutes les clefs, inutile de dire que la donzelle n’aurait pu s’échapper de son cachot qu’en passant par un trou de souris.

 

Je suppose qu’après une journée de quinze heures, ponctuée des réprimandes et récriminations de ma mère sur la qualité du travail, le manque d’empressement, ses conseils sur ce que doit être une parfaite ménagère, la propreté et l’hygiène, sans oublier les devoirs religieux et la vertu, la pauvre petite devait imaginer qu’elle en était une, de souris, au fond d’un piège.

 

Mirbeau représente avec son génie unique le journal d’une rouée femme de chambre. Je n’ose qu’à peine imaginer ce que pouvait être la solitude d’une adolescente jetée ainsi dans une maison étrangère, grande et riche, pour servir, sans jamais avoir de droits, que des devoirs.

 

Ce n’était cependant pas l’enfer. Mon père, en dehors de ses crises de brutalité était plutôt aimable ; ma mère, une fois passés ses moments de mauvaise humeur, pouvait être compréhensive. Pour elle, une bonne n’était pas une esclave, mais une jeune âme qu’elle devait élever vers la perfection. Pour la perfection du travail, elle lui enseignait les arts domestiques qu’elle-même maîtrisait : l’art de faire durer le linge, si coûteux, d’accommoder viandes et légumes, sans rien en laisser perdre, l’art d’économiser, de faire beaucoup avec pas grand-chose, l’art de gagner du temps et donc l’organisation du travail. Le contrat tacite qui existait entre les parents de ces filles et elle, c’est qu’elle en ferait des ménagères accomplies, ce qui réussit plusieurs fois. Au demeurant, certaines des anciennes bonnes, une fois libérées et mariées, revinrent nous voir de temps à autre. Mes parents n’étaient pas d’horribles tortionnaires. C’étaient des gens normaux dans un contexte qui nous échappe, et qui était la norme de l’époque.  La norme, la règle. Les filles de la campagne viennent travailler chez les bourgeois, c’est leur destin. Leurs frères deviennent ouvriers, jardiniers, travaillent à la scierie ou comme maçons, hommes de peine, c’est comme ça. C’est comme ça en 1960, et, sauf les communistes, et mon père déteste les communistes, qui ont fusillé sommairement des gens ici et là à la Libération pour les voler, tout le monde trouve ça normal.

 

Les bourgeois, les paysans, les fils et filles de paysans, tout le monde, hormis ces satanés communistes trouvent que le monde est bien fait.

 

A six ou sept ans, je suppose que le monde est bien fait, moi aussi.

 

Quoi que tout ne va pas tout seul. Certaines choses ne me plaisent pas. D’abord, je n’aime pas mes sœurs. F., qui a trois ans de plus que moi, qui m’observe sans cesse et rapporte tout ce que je fais à ma mère. A., qui est née dix-huit mois après moi, je lui fais tout le mal que je peux. Elle pleure tout le temps.

 

J’ai essayé de l’enfouir dans le sable de la plage, aux Sables d’Olonne. C’est la bonne, justement, qu’on emmenait avec nous – elle était contente – qui a alerté mes parents. Plus tard, je l’ai poussée dans le ruisseau de la maison, du côté de la route pour qu’elle s’y noie, et là, c’est le jardinier qui est arrivé en courant et l’a sortie. C’est lui qui l’a poussée, disait-il à ma mère. Incroyablement, ils lui ont donné un sucre trempé dans le cognac. Tout le monde s’occupait d’elle. Et moi, et moi, du cognac, j’en n’ai pas ? Ai-je dit avant de me prendre une claque à toute volée.

 

La vie ne me plaisait pas tant que ça. Mes parents n’étaient pas mes vrais parents. C’étaient des gens chez qui on m’avait mis en pension pour une raison inconnue. Mais un jour, mes vrais parents, qui étaient très riches et très distingués, un roi peut-être, ou quelqu’un qui n’avait pas pu faire autrement viendraient me chercher.

 

Alors je quitterais ces créatures médiocres et repoussantes, ordinaires et prosaïques, que j’aimais un peu quand même.

 

En attendant, il fallait pour aller pisser, puisqu’il n’y avait qu’un seul vécé dans la maison, et qu’il se trouvait aux antipodes, que je traverse leur chambre sans lumière et sans les réveiller, si possible.

 

C’est parti. Je sais où est la porte du palier. Peut-être y a-t-il un peu de lumière. Mon père ronfle et s’étrangle. Tous deux font deux tas sous les couvertures. Lui un tas beaucoup plus gros. A cette époque, il pesait cent-vingt kilos, elle soixante. Je retiens ma respiration. Peut-être aussi que ça ne sent pas très bon. Le parquet grince un peu, mais j’atteins la porte sans dommages. Je l’ouvre. Le palier est sombre. J’y pénètre, puis je ferme la porte de leur chambre. Ouf.

 

Maintenant, il s’agit d’affronter les monstres qui guettent partout. D’abord trouver l’interrupteur, pour obtenir une lumière jaune et faible.

 

A droite, la garde-robe parentale, qui sera deux ou trois ans plus tard leur salle de bains, avec vécé où j’aurai permission d’aller, à condition de frapper avant. Il serait inconcevable que mes yeux tombent sur la nudité maternelle. Lui, un peu plus tard, peut-être parce que j’avais oublié de frapper, j’ai vu son énorme cul, quand il enfilait un immense slip, taille baleine, au moins. Ça m’avait presque soulevé le cœur, ces grosses rotondités molles et blanches ponctuées de taches rouges et de veines bleues. Refermons cette porte, et revenons au palier ciré.

 

A main droite, le départ d’un escalier fermé par une porte qui donne sur un autre immense et sombre grenier, qui sera plus tard aménagé en quatre chambres, une salle de bains et, au niveau supérieur une salle de jeux et une autre grenier, dont je parlerai plus loin, car il surplombe ma chambre.

 

En 1960, ce n’est pas encore les chambres des adolescents que nous deviendrons, c’est juste une menace sourde, des craquements, un courant d’air froid qui se glisse et des bêtes qui s’agitent. Je dois descendre l’escalier de plus en plus sombre, éviter d’en faire craquer les marches de chêne, et retenir ma peur et ma vessie.

 

Pour la peur, j’ai un truc. J’ai une armure magique invisible. Comme elle est invisible, justement, les monstres qui se tapissent dans l’ombre ne la voient pas. Il faut donc que je les informe qu’ils ne peuvent rien contre moi. Inutile qu’ils essaient de m’attraper ou de m’écharper. Je répète donc, à voix basse pour ne réveiller personne, mais assez fort pour qu’eux m’entendent : j’ai une armure magique, j’ai une armure magique.

 

Je tiens fermement la rampe et parviens jusqu’en bas. Je suis maintenant dans l’entrée, qui donne d’un côté sur la cour par une épaisse porte pleine couverte de clous forgés à tête en pointes de diamants et de l’autre sur le parc, par une mince porte vitrée qui ouvre sur un perron de trois ou quatre marches rondes. Il entre par là un vent glacial, malgré le boudin de sciure de bois, et la nuit se déverse, ruisselante d’humidité et de malignité.

 

Il fait presque noir, puisque la lampe de l’escalier est à dix-sept marches de là, je les ai comptées tant de fois, et je dois trouver un nouvel interrupteur. Il n’y a pas de va-et-vient.

 

Du côté Nord, avant le perron, il y a la chaudière, près de laquelle on porta mon berceau durant le terrible hiver 56, afin que je ne gèle pas. L’hiver, on lui emplissait la gueule de bûches sans discontinuer. Peut-être était-ce elle qui engloutissait aussi les petits boulets noirs et poussiéreux de charbon qu’on stockait à côté du bois, je ne m’en souviens pas. J’ignore combien de pièces elle chauffait, sûrement assez peu. Derrière, un placard avec une jolie porte à plis de rideaux, où ma mère rangeait les manteaux, les parapluies, les toques et les chapeaux du dimanche.

 

Lors des travaux ultérieurs que mon père fit faire dans toute la maison, on fit des découvertes étonnantes. L’entrée avait été un passage entre deux constructions primitives dont les murs avaient été incendiés puis reconstruits. Dans l’un, dans une niche, une tête de bouc tournée vers l’Est, dont la fonction était probablement apotropaïque : chasser les démons. On mit également à jour un départ d’escalier, qu’on fouilla. On y trouva une cave emplie de terre et d’ossements, dont des ossements d’enfants. Les ouvriers jetèrent tout à la rivière, ce qui rendit ma mère furieuse. Sans doute se sentait-elle coupable que ces restes n’aient pas été enterrés selon les rites. C’est aujourd’hui la cave à vin, qui remplace la cave extérieure, où je devais me rendre parfois seul la nuit, lorsque celle-ci tombe à cinq heures, l’hiver, et que le maître à encore soif durant le dîner et veut éprouver le courage de son rejeton.

 

Sur ma droite, le bureau de mon père, avec à cette époque une petite cheminée Napoléon III en marbre noir, derrière laquelle on découvrira plus tard deux autres cheminées de briques d’abord, puis enfin la monumentale cheminée du XIème, dans laquelle auraient pu brûler des bûches de plus de deux mètres. Il y avait aussi de lourdes poutres posées sur des corbeaux de pierre calcaire. De ce bureau, rayonnaient trois autres pièces autour d’un sas qui ouvrait aussi sur la remise à bocaux qui devint plus tard la chaufferie. Deux de ces trois pièces servaient de remises à documents et de bibliothèque où mon père entassait ses bouquins, à l’exception de l’Arétin François et autres cochonneries galantes des XVIIIème et XIXème qu’il planquait sous les piles de draps de la belle armoire en merisier de leur chambre, comme je le découvris plus tard.

 

L’une de ces pièces servit plus tard à loger le père de ma mère, lorsqu’il fut veuf. On lui aménagea alors un cabinet de toilette et un WC, afin qu’il ne vint pas polluer notre environnement.

 

La troisième pièce ouvrait sur la cour, et servait à recevoir les clients de mon père.

 

Il y avait aussi un placard mural où on aurait pu s’asseoir à cinq ou six, bourré de plans cadastraux, et un autre qui passait pour héberger la fameuse Dame Blanche, et qu’on trouvait quelquefois ouvert sans raison.

 

Mon père – enfin, l’être chez qui j’avais été provisoirement et malencontreusement égaré – n’aimait guère la concurrence. Son propre père – un adorable grand-père, qui m’apportait chaque jour des bonbons, des cerises, des cailloux – allait bientôt mourir, en 1964. Lui, mon pseudo-père, disait de lui : ce vieux con. Au jour de son enterrement, l’église était pleine à craquer. Il y avait des gens dehors. Mes deux sœurs et moi étions dans le devant. Soudain, un brouhaha, un tumulte dans le fond attira mon attention. Une chaise se déplaçait toute seule, les quatre pieds en l’air, et les gens restés debout s’écartaient en maugréant. Lorsque la chaise parvint à l’allée centrale, je découvris son moyen de propulsion : c’était un lointain cousin un peu épileptique, au regard divergent, qui avait réussi à se rapprocher de la famille malgré une arrivée tardive. Il avait une vraie tête d’ahuri, et, malgré mon chagrin d’avoir perdu mon plus gentil grand-père, j’éclatai de rire. Ce qui me valut cette phrase définitive de ma sœur aînée : « Tu n’aimais pas ton grand-père ».

 

Pour mon père, loger le père de sa femme, c’est-à-dire vivre avec un contradicteur obstiné et un enragé donneur de conseils gratuits, il fallait bien s’y résoudre, mais il fallait le mettre un peu à part. Ce fut là. A l’époque de mon voyage nocturne, c’était encore des archives.

 

De l’autre côté du bureau paternel, qui se trouvait sous leur chambre, il y avait la pièce la plus mystérieuse de la maison. Je n’y serais jamais entré de nuit. De jour, pas volontiers non plus. C’était une chambre, qu’on appelait « la chambre du bas ». On y descendait par trois marches. Sa fenêtre donnait sur le ruisseau qui cerclait la maison sur deux faces, sous les grands sapins noirs, au Nord.

 

Cette chambre servait plus ou moins de penderie à vieilles défroques, manteaux de fourrure mangés aux mites, peignoirs usés jusqu’à la trame, cartons à chapeaux. Elle avait une cache dans un mur où pouvait se dissimuler un homme. Et surtout, elle était sous ma chambre, et au dessus de la crypte.

 

La maison de mes parents, que mon père tenait de son père, ce vieux con, qui la tenait de son propre père et ainsi de suite jusque vers 1850, était un ancien couvent partiellement démantelé au cours des âges.

 

Depuis sa création avant l’an mille, il avait successivement hébergé des moines et des sœurs, de divers ordres.   Il avait eu, ce couvent, une église dont il demeurait une vague trace du chœur, adossé au garage, un moulin – dont il restait une demi-meule de granit, l’étang (dit « le canal ») et son ruisseau, et enfin un cimetière, lequel était alors le jardin potager (rien ne se crée, tout se transforme).  

 

Parmi les choses qui m’étonneront toujours, cette bizarrerie : le monastère possédait au temps de sa splendeur plusieurs domaines ou paroisses parfois assez éloignés, dont ce qui est aujourd’hui un petit village nivernais distant de soixante kilomètres, où l’Adass de la Seine déporta dans sa prime enfance ma première femme.

 

Ma seconde femme, elle, travaille depuis trente ans dans un hôpital qui s’étend sur ce qui fut une propriété de ma famille au XVIème siècle.

 

Coïncidences ?

 

Au milieu de la cour, sous l’énorme marronnier dont une branche devait un jour de tempête écraser une partie de la toiture, le joli puits en fer forgé grillagé et la R5 de ma mère, une imposante dalle de calcaire, de trois mètres sur deux, épaisse de trente centimètres, posée sur quatre pieds de pierre, qu’on appelait simplement « la pierre », était à l’origine une pierre d’exposition des morts.

 

On s’en servait plus prosaïquement pour casser la tête des grenouilles qu’on tenait par les deux pattes arrière, avant de les couper en deux, de les rouler dans la farine, et de les faire sauter dans le beurre grésillant.

 

Avant de revenir à l’entrée, où je me tiens tout tremblant, malgré mon armure magique, essayant de deviner l’emplacement de l’interrupteur, que je dois atteindre d’un bond, si je veux éviter d’être happé au passage par les choses hostiles et sournoisement tapies dans l’ombre affreuse et humide, je fais un dernier détour par la chambre du bas.

 

Sous celle-ci, il y avait une crypte, qui fut bouchée lorsque le chemin qui longeait la maison fut élargi et transformé en route départementale.

 

J’y fais allusion parce que cette partie de la maison : la chambre du bas, ma chambre au-dessus ainsi que le grenier au-dessus étaient les pièces les plus malsaines de l’ensemble.

 

Si personne ne se rendait de bon cœur dans la chambre du bas, même de jour, j’habitais ma chambre, la nuit principalement, et je m’y suis rarement couché sans appréhension. J’y ai vécu des instants de profonde terreur, et en particulier certain soir où la clef de mon armoire a tourné dans la serrure, sans personne pour l’activer, et que porte s’est ouverte.

 

Quelques années plus tard, j’approchais alors de quinze ans, convalescent de je ne sais quelle maladie, un matin où je lisais dans mon lit en l’absence de quiconque, j’entendis des pas traverser le grenier au dessus de ma tête.

 

Quelqu’un marchait là-haut. J’étais pourtant seul dans la maison. Un voleur ? Qui aurait vu mes parents partir et se serait introduit ? En plein jour, et fort du courage de l’adolescent que j’étais devenu, je me glissai avec une prudence d’Indien hors de ma chambre, dévalai l’escalier, allai chercher la carabine 9 mm que je chargeai, puis remontai à pas de loup jusqu’au grenier suspect, que j’ouvris dans le grand style des films d’action : un coup de pied dans les portes pour qu’elles aillent battre contre le mur, que j’explorai à fond sans rien trouver.

 

En ayant eu le cœur net, après avoir inspecté chaque recoin, j’allai poser mon arme puis me recouchai.

 

Quelques instants plus tard, des pas lourds traversaient à nouveau le grenier à plusieurs reprises.

 

« Des rats », dit plus tard mon père – mes vrais parents n’étant jamais venus me chercher, il fallait que je me fasse à cette idée - en haussant les épaules.

Des rats qui marchent comme un homme, gros comme un homme, je crois qu’il n’aurait pas aimé en rencontrer, mon père.

 

Plus tard, ma tante, la soeur de mon père, me confiait que c'était autrefois sa chambre, et qu'elle y avait vécu dans l'angoisse.

 

Je reviens au petit bonhomme de six ou sept ans, tiré d’un rêve et de la chaleur de son lit par une envie pressante. Ce petit bonhomme égaré sur cette terre étrange, en pyjama et pantoufles sait qu’il a encore du chemin à faire pour atteindre le but : la cuvette de faïence blanche, cette terre promise en laquelle il pourra s’épancher, afin de pas exciter le courroux maternel, afin de faire la preuve qu’il est maintenant capable de se retenir, afin qu’on ne rie pas de lui : il a encore pissé au lit, il a encore pissé au lit (ad lib.) !

 

Le voilà donc prêt à traverser d’un bond l’entrée pour allumer le couloir de la salle à manger. Parce qu’à cette époque, la salle à manger était coupée en deux dans sa longueur par une cloison aux hautes fenêtres losangées.

 

Cette pièce était froide. Elle donnait au Nord sur le parc et le ruisseau par une lourde fenêtre à meneaux. Deux horribles portraits de bourgeois du XVIIIème, un notaire et sa femme, quelque chose de ce genre, vous regardaient manger avec sévérité. Heureusement, sur d’autres murs, il y avait un Ziem plein de lumière, une autre belle toile qui montrait deux jolies cocottes aux épaules dénudées dînant avec un viveur à moustaches, en frac, sous les lustres d’une brasserie parisienne. Face à tant de débauche, le notaire en perruque poudrée et sa femme la notairesse pinçaient les lèvres.

 

Puis il y avait sept gravures qui exposaient dans toute leur horrible nudité les sept péchés capitaux. Et enfin, des chasses au renard dans la campagne anglaise, et autres départ de l’auberge de voyageurs replets et rubiconds qui voyageaient en diligence.

 

C’est là que nous prenions les repas. La bonne était à la cuisine, et ma mère la sonnait avec une petite cloche de bronze à motifs crétois primitifs, qu'avaient popularisé les découvertes d'Arthur Evans.

  

L’interrupteur était dans le couloir, de l’autre côté de la porte qu’il fallait d’abord repérer dans la maigre lumière de l’escalier, là-haut, puis ouvrir doucement et précautionneusement avant de glisser une main hésitante – qu’on aurait pu saisir de l’autre côté, l’affreux côté de la menace, de l’inconnu, l’affreux côté de la peur à l’état pur.

 

Une moitié de moi, le dos, encore dans un restant de lumière, et tout le devant dans le danger. Tout à l’heure, ce sera l’inverse, mais là, je courrai presque : les monstres dérangés dans leur sommeil et qui n’avaient pas osé m’attaquer de front se précipiteront sur mes pas pour essayer de m’attraper pour me dévorer. Le danger sera alors derrière, glacé, rapide, mortel. Je devrai d’abord surveiller que rien ne sorte de la cuvette, puis éteindre d’un tour de main ou d’un coup sec chaque interrupteur, avant de refermer chaque porte le plus vite possible, mettant ainsi un obstacle normalement infranchissable entre mes ennemis invisibles et moi – normalement, oui, mais alors, qui a pu faire tourner la clef de mon armoire dans sa serrure ? – traverser rapidement l’entrée, me jeter dans l’escalier, passer devant le placard où sont rangés la cire et les plumeaux – je l’avais oublié, celui-là, atteindre enfin, éperdu, la porte de mes parents, ces gens-là, lui qui ronfle et qui pète, et rigole de ma peur – les fantômes, ça n’existe pas – elle qui est gentille avec moi, même si sûrement je la déteste de m’avoir donné une petite sœur qui est bête et moche et dont tout le monde s’occupe, que tout le monde plaint tellement je lui fais tout le temps des misères, comme ils disent, malgré ça, je la préfère quand même, elle ne se moque pas de moi, comme lui, et même elle me protège de ses cris et de ses colères, de ses violences parfois, enfin je serai devant leur porte, et je serai sauvé pour cette fois de la peur. Je n’aurai qu’à regagner mon lit peut-être encore tiède et, s’il n’y a pas dans la chambre même un nouveau motif de terreur, une clef qui tourne ou des pas qui marchent, je pourrai m’endormir jusqu’au lendemain, et rêver, rêver, rêver, rejoindre ce monde d’où je viens inexplicablement.

 

Mais je n’en suis pas encore là. N’anticipons pas. Avant de revenir, il faut poursuivre la traversée des eaux troubles de l’aller.

 

Je trouve la porte, je jette la main comme un coup de dague, j’allume, et je respire. Le couloir est vide. Je le traverse rapidement, en laissant bien sûr la porte ouverte, puisque c’est par là qu’il faudra fuir, au retour, et que le salut est là-haut, près d’eux.

 

J’arrive à la cuisine. Il faut encore en ouvrir et franchir la porte, lancer à nouveau la main dans l’obscurité, mais ici il fait encore un peu tiède, le feu s’endort doucement, et la cuisine ne fait pas si peur. Sauf la réserve qui se tient tapie de l’autre côté, à côté de l’autre fenêtre à meneaux de la maison, qui est intéressante le jour, car c’est là qu’on trouve les gâteaux secs à la crème de lait, les confitures et le pain d’épices, mais la nuit, je préfère passer au large.

 

La cuisine est un lieu familier. Chaque matin, le facteur apporte le courrier, et le journal. Dans les dernières pages, je dévore chaque jour les aventures du Fantôme du Bengale. Lui, c’est vraiment un ami. Je l’aime, c’est exactement ce que je veux être, plus tard. Un gars balèze, en costume moulant, qui montre tous ses muscles, et ses épaules, un peu comme le jardinier que j’aimais tant, Lucien, et qui est mort à trente ans, soit dix ans plus tard rongé par l’alcool et les cigarettes, et la pauvreté, peut-être, un ami, lui aussi, qui me portait sur un seul bras et me faisait fumer de l’autre main sa vieille cigarette jaune trempée de salive. Le Fantôme du Bengale a un cheval, Tornade, je crois, un splendide cheval blanc qui apparaît dès qu’il le siffle et l’emporte au devant des salopards de trafiquants d’esclaves et des ravisseurs de femmes blondes, qu’il assomme d’un seul coup de son énorme poing, en leur imprimant dans la mâchoire l’empreinte d’une bague en forme de tête de mort. Il a pour amis un chien, et les gentilles tribus de la forêt. Lui aussi, a une cape, une armure magique, il est presque invisible, il tombe sur ses ennemis comme la foudre, on l’appelle avec crainte : l’Ombre qui marche. C’est dans la cuisine que je lis ça tous les matins. Son ombre protectrice et la tiédeur du feu me rassurent.

 

Le tableau de la fenêtre est le réfectoire des oiseaux et des écureuils qui dévorent, sans crainte des humains affairés, les cadeaux que leur fait ma mère.

 

Le but se rapproche.

 

Maintenant, il faut traverser la pièce à couture, où la bonne reprise les chaussettes devant la fenêtre l’après-midi – tiens, elle pisse où, la bonne, la nuit ? Dans son lavabo, ou est-ce qu’on lui a donné un pot de chambre ? Moi, on aurait pu m’en donner un, de pot de chambre, j’y pense aujourd’hui, mais je n’aurais pas eu l’occasion de revisiter en votre compagnie la demeure familiale de l’époque, ç’eût été dommage. Et puis l’aventure, ça vous forge un homme. Tu seras un homme, mon fils. Je te  léguerai mes fusils, puisque tu es mon seul fils. Les filles n’ont pas besoin de ça. Les filles, on leur apprend le piano et la couture, c’est suffisant. Toi, tu me succéderas. Tu iras à la chasse, à la guerre s’il le faut. Après avoir bourlingué la nuit dans les couloirs de la terreur et les marigots où se cachent les hôtes invisibles de la profonde nuit, tu découvriras que les fantômes, ça n’existe pas, que ce sont des conneries pour les bonnes femmes, comme cette foutue Dame Blanche, et alors, tu seras devenu un homme, mon fils.

 

C’est aussi la pièce où mon père range ses fusils et ses munitions, justement, et où certains jours je fais de la peinture. J’aime beaucoup la peinture, j’adore peindre des chevaux. Je ne comprendrai jamais qu’on puisse avoir envie de représenter une machine. Seule la beauté des chevaux m’émeut. J’ai fait un grand portrait de Minarelle H, une jument qui est une légende familiale, car elle appartient à un cousin de ma mère, et a remporté le prestigieux Prix d’Amérique. Souvent, ma tante qui adore les chevaux m’emmène à l’hippodrome où je regarde avec passion la présentation des chevaux. Je devine presque toujours celui qui va gagner. Ma tante m’écoute, et elle gagne. Plus tard, ce précieux sens s’évanouira, comme s’évanouira ma passion pour les chevaux.

 

Voilà, c’est la dernière pièce avant les vécés tant désirés. Plus loin, il y a encore la laiterie, une pièce basse qu’inonde régulièrement le canal en crue où Henri, l’ouvrier agricole procède chaque jour à la séparation du lait et de la crème et fait égoutter ses fromages, avant de les faire sécher sur un lit de paille, dans une cage grillagée suspendue dans l’ombre d’un noisetier.

 

C’est sur le mur de la laiterie qu’il tue régulièrement les petits chats qu’il entend miauler, après les avoir fourrés dans un vieux sac de jute qu’il frappe à toute volée. Cora, leur mère, la vieille chatte noire, feule, crache et griffe. Personne n’a jamais pu la caresser. On dirait qu’elle nous hait tous.

 

La pièce à couture recèle aussi les jeux de société, et, de temps en temps, le martinet.

 

Le martinet est un fouet à manche de bois et lanières de cuir. Il a pour unique raison de se trouver là un cuisant désir pour mes fesses et mes jambes. Il n’aime personne d’autre. Je n’ai pas souvenir que mes sœurs ou la bonne aient été fouettées. C’est donc pour mon usage exclusif qu’il se cache quelque part. Ils se cachent. Car il y en a eu plusieurs. Je consacrais une partie de mes journées à chercher leur cachette. Lorsque je les découvrais, je leur faisais un sort. Au début, je coupais les lanières au ras du manche. Lorsque j’avais mérité le martinet que ma mère, généralement, allait quérir, elle n’avait plus que ses mains pour me fesser, et ça la fatiguait vite. Elle jetait le manche, et rachetait un martinet qu’elle cachait autre part. Dont, après l’avoir découvert, je coupais les lanières. Un jour, elle me donna des coups de manche, et ça, ça faisait très mal. Depuis, je jetais simplement le martinet dans le canal.

 

Les vécés sont maintenant à portée de main, derrière une porte vitrée où ma sœur aînée s’ouvrira un jour, en voulant la pousser – ou peut-être était-ce déjà arrivé – les veines d’un bras sur une grande longueur et dut être garrottée et recousue. Je ne me souviens pas qu’on lui ait donné du cognac sur du sucre, non. C’était la panique, elle aurait pu mourir.

 

Dernier obstacle, vite levé, que cette porte, tant ma vessie me pousse dans le dos. Non, ce n’était pas la bravoure qui m’avait mené jusque là. C’était la pression de l’urine. J’ai tant envie. Je suis si content d’atteindre enfin au but. Dans un instant, je vais pouvoir pisser, pisser là ou ma maman veut tant que je pisse, même si souvent le jet se balade à droite à gauche, que j’en fous partout – ne rigolez pas, les filles, c’est pas toujours facile de viser avec cette espèce de tuyau, la zézette, et même des fois, cette conne, elle se plie dans le slip et quand tu vas pour pisser, tu ne t’en aperçois pas, et d’un seul coup, quand ça part, tu te fous de la pisse partout, sur le ventre, ou sur la jambe ou le pyjama – voilà, mais là, tout va bien, encore une minute, et ma maman sera contente. Je lui dirai demain matin : maman, tu sais ce que j’ai fait, cette nuit ? Tu ne m’as pas entendu ? J’avais envie de faire pipi, hé bien, je me suis levé, j’ai traversé votre chambre, et je suis allé faire pipi dans les vécés. Et j’ai même pas eu peur. J’ai allumé toutes les lumières, et j’y suis allé tout seul. Tu vois, je suis capable de me débrouiller, maintenant. Je ne suis plus un bébé qui fait pipi au lit, non. Et elle sera contente, et peut-être qu’elle m’achètera quelque chose, des billes, peut-être. En tout cas, elle sera bien contente, et moi aussi.

 

Et donc, je suis vraiment content d’être arrivé jusque là. Maintenant, je suis debout devant la cuvette blanche, la lumière éclaire bien tout, une ampoule pour une petite pièce comme ça, on y voit bien. La cuvette est bien vide, rien ne s’y dissimule. C’est surtout quand je fais caca que j’ai peur, que soudain quelque chose – la Mère En Gueule, peut-être, qui se trouve dans le canal, on me le dit tout le temps : n’approche pas du canal, ou la Mère en Gueule va t’attraper ! – et là, j’ai vraiment peur, quand je fais caca, qu’elle surgisse des vécés et qu’elle m’entraîne dans les profondeurs pour me dévorer.

 

Mais là, le trou d’eau est sous mes yeux, l’endroit est sûr. Je vais enfin pisser, et faire plaisir à ma maman, je suis content, content, content.

 

Enfin je largue tout, j’y vais à fond, j’appuie de toutes mes forces sur les muscles libérateurs, dans un parfait moment de joie.

 

Et je m’éveille d’un coup dans la honte et la stupeur, le ventre et les jambes collés contre le drap chaud et humide, dans ce lit où je viens, en rêvant toute cette histoire, de vider une fois encore le contenu de ma vessie.

 

 

 

 

  

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Présentation

  • : Le jardin de Vieux Jade
  • : Arrivages du jour, légumes secs, mauvaises herbes, quelques trucs qui arrachent la gueule. Taupes, censeurs et culs bénits s'abstenir. Si vous cherchez des certitudes, c'est pas l'endroit.
  • Contact

Décidément rétif à l'ordre bestial, j'ai fixé ma résidence ailleurs, d'où j'observe le déroulement des temps infernaux, fumier des plus belles fleurs.  J'ai un jardin secret, où les plantes poussent toutes seules. Servez-vous, si le coeur vous en dit, sans tenir compte de la chronologie, car comme le mot le dit clairement, l'heure est un leurre.

 

Une précision concernant les commentaires : n'ayant pas toujours le temps ni l'énergie de répondre aux commentaires, ceux-ci restent ouverts, sans aucune garantie que j'y réponde. Je me réserve cependant le droit de sabrer les inconvenances, dont je reste seul juge.

 

Ici, je n'est pas un autre.

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Lave

Après l’explosion

Nul ne l’a sue

Le jour d’après

Coule la lave

Brûlent les cendres

Lave la lave

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Frottent les cendres

Récurent

 

Pas encore nu,

Pas tout à fait ?

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Bien accrochées

Des salissures

De vieux fantômes

D’anciennes guerres

 

Qui peut le faire, si ce n'est toi ? 

 

Nettoie

 

Les notes glissent

Comme des larmes

Gouttes de feu

Sur la paroi

 

Qui m’a volé le cœur ?

Qui m’a trempé vivant,

Comme une lame ?

Qui m’a fouetté les yeux,

M’a déchiré le ventre

Me baisant les paupières

Et m’enduisant de baume,

Me prenant par la main,

Pour me conduire

Dehors ?

Les dits de Lao Yu

LE BUT DE LA QUÊTE EST DE N'AVOIR

NI BUT, NI QUÊTE

 

***

 

QUE SAIT-IL DE LA PESANTEUR,

CELUI QUI N'EST JAMAIS TOMBÉ ?

 

***

 

C'EST SOUVENT LORSQU'ELLE S'ENFUIT QU'ON PERÇOIT L'ESSENCE DE LA BEAUTÉ

 

***

 

LA MER A DES MILLIARDS DE VAGUES QUI BATTENT TOUS LES RIVAGES. OU EST LE CENTRE DE LA MER ?

 

***

 

CE QUI EST MORT N'A AUCUN POUVOIR SUR CE QUI EST VIVANT

SEULS LES MORTS CRAIGNENT LES MORTS

 

***

 

QUAND LE NID BRÛLE, LES OISEAUX S’ENVOLENT

 

***

 

C’EST DANS LA CHUTE QUE LES AILES POUSSENT

 

***

 

CE QUI PEUT ÊTRE PERDU EST SANS VALEUR

 

***

 

LA MAISON EST PLUS GRANDE QUE LA PORTE

 

***

 

L’ERREUR EST LA VOIE

 

***

 

LA ROUTE EST DURE A CELUI QUI BOÎTE

 

***

 

LA LUMIERE DE L’ETOILE EST DANS L’ŒIL QUI LA REGARDE

 

***

 

LES PETITS NOURRISSENT LES GRANDS

 

***

 

LES RICHES ONT UNE BOUCHE
MAIS PAS DE MAINS POUR LA REMPLIR

C’EST POURQUOI IL LEUR FAUT
DE NOMBREUX SERVITEURS ;


CEUX QUI ONT DE NOMBREUX SERVITEURS
NE SAURAIENT VIVRE SEULS,

CE SONT DONC DES PAUVRES ;


CELUI QUI PEUT VIVRE SANS SERVITEURS 
EST DONC LE VERITABLE RICHE.

 

***

 

VIVRE C’EST REVENIR SUR SES PAS

 

***

 

LA NUIT LAVE LE LINGE DU SOLEIL

 

***

 

LES RUISSEAUX EMPORTENT LES MONTAGNES

 

***

 

UNE EPINE DANS LE PIED DU GENERAL : L’ARMEE S’ARRÊTE


***
 


UN PORC EN HABITS DE SOIE RESTE UN PORC,
COMME UN DIAMANT DANS LE FUMIER

RESTE UN DIAMANT.

MAIS LA PLACE D’ UN DIAMANT

EST DANS UN ECRIN DE SOIE,

ET CELLE D’UN PORC DANS LE FUMIER.

 

***

 

COMME SEULE L’EAU ETANCHE LA SOIF,
SEULE LA JUSTICE COMBLE LA FAIM DE JUSTICE

 

***

 

DU COLIBRI A L’AIGLE, IL EXISTE DE NOMBREUX OISEAUX

 

***

 

LE DEDANS REGLE LE DEHORS

 

***

 

L’EPONGE BOIT LE VIN RENVERSÉ
ET LA ROSÉE DU MATIN

 

 

***  

 

LORSQU'IL DECOUVRE LE MIEL,

L'OURS OUBLIE LA PIQÛRE DES ABEILLES

 

 

 

 

 

 

 

 

Lisez-Moi Lisez Moi Lisez Moi

Des mots des mots des mots des

Quand à un livre je me livre , ce que je lis me délie.

 

 

Je me demande pourquoi on n'a pas encore une loi qui oblige à faire bouillir les bébés à la naissance, afin qu'ils soient parfaitement stérilisés.

 

Circuler, pour mieux s'ôter.

Toute notre vie, on attend une grande cause pour se lever, et on passe sa vie accroupi, à croupir.

Le lucane aime prendre l'R le soir à sa lucarne.

Ce qu’il y a de bien dans l’état de siège, c’est qu’on prend le temps de s’asseoir.

 

 

Les oiseaux sont les poissons du ciel,

nous en sommes les crabes


Heureux les déjantés, ils quitteront plus facilement la route commune!

 
L’argent n’a pas d’odeur, mais il y contribue.


Un vrai sosie, c’est invraisemblable.

   

Quand je grossis, je m’aigris ; et quand je m’aigris, je grossis.

   

Le temps, c’est de l’urgent.

   

Joindre l’utile au désagréable : se faire renverser par une ambulance.  

 

Le journal du paradis, c’est le Daily Cieux.

   

Yfaut et Yaka sont dans un bateau ; Yfaut tombe à l’eau, Yaka l’repêcher.

 

Chaque matin, s’ils ne sont pas morts, les vieux vont aux nouvelles.

 

Le poète a latitude d’explorer toutes les longitudes.

   

Etre réduit à la portion congrue, c’est fort peu. Moins, c’est incongru.

 

Peut-on dire de quelqu’un
dont la vie dépend des autres pour tout qu’il
est riche ?
La bouche est elle riche ?

Peut-on dire de quelqu’un
qui n’a rien à attendre des autres qu’il est pauvre ?
Les mains sont elles pauvres ?

 

Curieux comme mystique s’oppose à mastoc.

 

On a mis bien des ouvrages majeurs à l’index.

 

Quand le brouillard tombe, on voudrait qu’il se casse.

 

Au matin, la nuit tombe de sommeil.