ZAVATTA, bien sûr !
Je suis en train de lire l'autobiographie de M. Achille "Viva Zavatta", qui fort civilement cite le nom de son "nègre", M. Jacques Labib. Ce bouquin date de
1976.
J'aime les vies extraordinaires, et surtout les autobiographies. Parmi beaucoup : Rencontre avec des hommes remarquables, de Gurdjieff, presque toute l'oeuvre
Alexandra David Néel, les mémoires de Benvenutto Cellini, Ma Vie, de Carl Gustav Jung, etc.
Né en 1915, AZ est élevé au cirque. Il apprendra à lire vers 30 ans, tout seul, en déchiffrant les grosses lettres des affiches. Puis il aura une frénésie de
lecture.
Le cirque du papa, un colosse de 120 kgs qui mène sa famille à coup de "trempes" a des hauts et des bas. A sa mort, Achille pleurera l'homme qu'il aimait "le plus
au monde". A douze ans, Achille pesait 25 kgs. Un cirque refuse de lui faire faire un numéro, car, trop maigre, il fait pitié.
Six ans plus tard, après un entraînement acharné, c'est une boule de 80 kgs de muscles, qui rêve d'en découdre.
Je passe sur mille choses. Achille a des côtés complètement primaires. Il a un goût prononcé pour d'exécrables blagues. Pour les femmes aussi. Plus tard, il
apprendra à aimer l'alcool et les cuites.
Fou de travail, en période de vaches maigres, il fait des numéros chez Bouglione, donne plusieurs galas par jour, et le vélo-taxi la nuit.
La notoriété vient peu à peu. A la sortie de la guerre de 39, après avoir fait le coup de feu en libéral, il achète un cirque et enchaîne les spectacles :
le "cirque américain" Bostok, composé de gens qui, s'ils savent à peu près tout faire, ne parlent pas un mot d'anglais. Ils roulent en Jeep et distribuent des Camel achetées en gros, et lancent
des : Hello ! Howayou ? et ont ordre de décamper dès qu'ils tombent sur qui les interpellerait dans la langue de Milton ou d'Henry Thoreau : Babaïe, beïbi.
Achille est un futé. Le cirque américain enchante les villes de province. Au point de s'attirer les foudres des frères
Amar.
Un jour, arrivant à Chartres où il doit donner une représentation, le cirque Bostok est arrêté par une troupe de gendarmes. Le spectacle est interdit.
Mais AZ ne l'entend pas de cette oreille. Il dit à ses chauffeurs de rouler pare-chocs contre pare-chocs, et enfonce le barrage. Arrivés sur la place poursuivis par les flics, les camions font le
cercle, comme au Far West, et les gars du cirque montent se coucher sur les toits fusils en main.
Achille prévient : si on l'attaque, c'est la guerre. Qu'on aille chercher le maire. Lequel fait son apparition plus tard, piteux. Achille l'apostrophe au
porte-voix. Que s'est-il passé ? Pourquoi le spectacle est-il annulé ? La foule s'amasse, et entend les échanges. Le maire qui ne s'attendait pas à faire la connaissance d'un pareil loustic,
sous les huées de la foule, doit reconnaître que les frères Amar l'ont acheté - pour les vieux, dit-il.
A la suite de quoi, les Amar, prenant la mesure de leur concurrent, renoncent à l'intimidation.
Le soir, le spectacle est autorisé. Voilà le bonhomme. Il reconnaît être un peu dingue. Au cirque, il fait tout y compris des numéros dangereux avec des
fauves.
Le parrain de son cirque est l'acteur Erich von Stroheim.
La consécration vient avec la télé. Son plus fameux numéro de clown "le Réveillon de l'homme sandwich" est malheureusement introuvable.
En voici l'origine : un soir de réveillon, Achille, plein aux as, emmène sa nouvelle conquête en virée. Il invite aussi un copain dans la dèche. Achille, grand
prince, prend 300 000 balles, ce qui d'après mes calculs représente à peu près 6 mois de SMIC, environ 6 ou 7 000 €. Avant de partir, lui et son copain jouent à la "passe anglaise". En quelques
minutes, le fric change de mains. Le copain dit : t'inquiète, c'est moi qui invite.
A la fin de la soirée, il reste 40 000 francs (plus ou moins 7 ou 800 €). A la porte de la boîte où ils ont fini la soirée, il y a un clodo qui se les gèle. Achille
dit au copain : file moi ce qui reste.L'autre lui donne. Achille les tend au clochard. Un coup à le tuer, dit-il dans son bouquin. Le copain lui dit : t'es fou !
Ce soir là, Achille a acheté à un homme l'idée du plus beau numéro de clown qui ait jamais été joué, et qui faisait immanquablement pleurer les foules.