Un jour, j'ai pesé le mot "honte", et il m'est apparu d'un coup comme un raccourci d'"humanitas, hominitas", le caractère de ce qui fait d'un être un humain.
Hélas, l' étymologie refuse de se plier à ma fantaisie.
Je persiste pourtant, car l'intuition m'a toujours semblé primer sur la reconstitution laborieuse.
L'étymologie officielle ressemble souvent à l'égyptologie tant elle marche les yeux bandés.
Certaines utilisations du mot me semblent tellement l'antiphrase du sens ordinaire qu'il doit bien y avoir un lien avec cette impression : la honte est un sentiment d'exclusion de l'humanité, d'insuffisance.
Il est vrai que prendre ses désirs pour la réalité finit souvent dans le fossé. Mais suivre son intuition est un art que chacun peut développer à sa manière, avec des résultats qui dépendent de divers facteurs, dont la sincérité ne suffit pas à pallier l'absence de discernement, et d'ascèse des imaginations égocentrées.
Se laisser guider par l'intuition comme Ulysse par Athéna, c'est un art. Art de confiance, et de prudence. De courage et de moindre résistance, alchimie à cuisiner selon l'arrivage, sans théorie stricte ni idée préconçue.
D'où venons nous ?
D'un monde qui n'est pas celui-ci, c'est tout ce que j'en sais.
Nous venons ici munis d'un viatique, ou feuille de route. Cela, je le sais aussi, non parce que je l'ai lu ou entendu, mais parce que je l'ai découvert en moi.
Dépendants de nos déterminations génétiques, et du continuum familial dans toutes ses composantes : tares physiques et mentales, fortune, libido mal torchée, religion, niveau social, intellectuel, affectif et autres.
Mais en dehors de ces contingences nous avons aussi une source secrète qui coule en nous, un chemin particulier et unique à parcourir, qui consiste justement à accomplir ce tour de force : s'extirper du continuum, semblable à une gangue de boue durcie et sclérosante, capable de nous priver de tout libre mouvement, pour mettre au monde celui que nous sommes vraiment, laisser l'eau aller librement vers sa pente.
Le poids de cette gangue peut nous condamner à ne jamais savoir danser, pire, à devenir des empêcheurs de danser en rond.
Déjeunant seul dans un restaurant, me vint au travers du brouhaha ce propos : "Alors j'y dis : vous devriez avoir honte".
Traduit : vous n'êtes pas digne d'être un homme.
Ça interroge. Combien de fois, depuis l'enfance, l'avons nous entendu ? Tu devrais avoir honte. Moi, à ta place, j'aurais honte. Etc.
Mais toi, tu n'es pas à ma place. Moi, oui. Même si je cherche désespérémebnt à me défaire de ce que l'on m'a inculqué et qui n'est pas moi, c'est ici ma place. Ta réaction peut me montrer que la manière dont j'ai agi, ou dont j'ai été agi n'est pas en accord avec ta perception de ce que doivent être les choses. Mais qui me dit que, parce que tu es né avant moi, parce que tu es mon père ou ma mère ou n'importe qui d'autre, n'importe quel accusateur, juge, procureur, le simple fait que tu sois le détenteur d'un message plus ou moins consensuel doive s'imposer à moi ?
Sinon la culpabilité insidieuse que toi et les autres cherchez à m'implanter, comme la chaîne qui me rivera sur la litière commune ?
C'est tout le poids de la société, de ses acquis relatifs qui visent à me modifier à son gré.
Mais, avant d'être un être social, un membre d'une collectivité, d'abord et avant tout, je suis moi. Ce n'est qu'en tant que moi différencié que j'ai le choix d'adhérer ou non à votre délire collectif.
C'est exactement semblable au baptême du nouveau-né, contrat abusif s'il en est, fondé sur la peur, la menace d'être excommunié, ou jeté en enfer, alors que le baptême originel se fonde sur le choix délibéré d'un adulte conscient.
J'ai choisi de ne pas marcher au pas. De ne pas asseoir ma sécurité sur des milices, sur des remparts, ni ma richesse sur le vol. Et pourtant le monde me poursuit. Ma boîte aux lettres est pleine d'appels aux dons. On me matraque de téléthon, d'abbé Pierre, d'orphelins en détresse, de toutes les images de la misère, quant les véritables responsables de l'horreur restent tapis dans leur toile infecte, dans leurs grotesques palais à se gorger de sang et de puissance sordide.
Mais c'est à moi, à vous, qu'on cherche à imposer la honte, ce défaut d'humanité. Nous qu'on rackette, qu'on intimide.
Or, l'humanité nous est échue dès la naissance. C'est un joyau qui est en nous, qui perce le coeur des adultes lorsqu'ils voient un bébé, non encore corrompu.
Redevenons comme des enfants. Rejetons les menaces du monde, défaisons-nous de cette vilaine honte qu'on nous enfile comme uniforme.
Je suis né moi. Fils de X ou Y, peut-être, mais le fait d'être sorti de ces entrailles là ne me donne aucun devoir d'obéissance à leur égard.
Pour ma part, je (je, lecteur, c'est bien sûr toi comme moi) récuse tout devoir d'obéissance. Je récuse d'une manière absolue tout ce que les sociétés coercitives attendent de moi, pour leur seul profit. Je ne suis pas un objet, mais un sujet. Je refuse toute tentative de direction, de prise en main de ma destinée.
Je suis ici en tant qu'être libre et unique, avec une feuille de route qui n'a pas à recevoir l'assentiment de qui que ce soit, et je ne reconnais nulle autorité en dehors de celle de ma conscience, que j'appelle aussi bien "feuille de route", "destinée" ou "maître intérieur".
En dehors de cela, je ne dois nulle allégeance à quiconque, sauf le respect que n'importe quelle âme saine doit à tout ce qui existe et cherche à assumer sa propre destinée, en toute véritable fraternité.
Je n'ai de compte à rendre qu'à CELUI QUE JE SUIS, et non à ce vampire qui au nom de l'humanité, prodigue de fausse égalité, de fausse liberté, de fausse fraternité, et d'amour bidon et rapace cherche à me culpabiliser, à me faire honte au nom d'une prétendue appartenance à une humanité factice, dont le vrai nom est : bestialité, mensonge et détournement.
Cela dit, si je ne sais pas encore où je vais, ni qui je suis, je sais au moins que je viens d'un monde où j'étais entier, pas castré, pas partagé, pas rançonné et que je tiens à le rester jusqu'à ce que s'ouvre la porte du retour.
Amen.