Nous étions rassemblés autour du feu, dînant des courses du soir, buvant du vin médiocre, du rhum aux épices, du thé, écoutant Kevin Burke, Bernstein, Randy Newman et Gus Viseur en stéréophonie.
Soudain, dans mon esprit, cette cassure : tout ce décor est faux. Tout est mort. Nous ne nous nourrissons que de choses mortes : légumes, viandes et poissons, vins et autres, tout est mort et conservé par magie noire. La musique qui nous fait vibrer : de la musique en boite. De la musique ? Même pas. Des impressions dans le plastique issu de l'huile de décomposition de roches éteintes étreintes par un faisceau de lumière contrainte.
Que les musiciens de chair soient vivants ou morts, sains ou malades, libres ou retenus, qu'importe ? La musique inondera tout. Ou ce cadavre de musique. Ce poison.
Et ces discours : mon boulot, mes projets, mes aventures. Dont je suis le héros fatigué, mais dont je n'ai rien écrit.
Conjuguez avec moi, si vous le voulez bien :
Dont je suis, dont tu es le héros
Dont il ou elle est
Dont nous sommes, vous êtes, ils ou elles sont les héros fatigués et dont nous et quiconque n'écrivons jamais rien.
Mais dont nous parlons complaisamment, sans cesse, comme des perroquets : et moi je lui ai dit et c'est intolérable et jamais je n'accepterai et je t'aime et il ou elle ne m'aime pas et qu'est-ce que je lui ai fait et le père / la mère t'a toujours mieux aimé que moi et de toutes façons t'as toujours craché à la gueule de tout le monde et on dirait que je t'ai toujours emmerdé et t'en as jamais rien eu à foutre de moi et et et lui et elle et moi tout ce théatre de bidoche/
Nous ne parlons que de choses mortes. Qu'elles soient passées, ou jamais arrivées, et déjà mortes dans le ventre qui aurait pu s'il était vivant mais ne les a pas portées car lui aussi est/était/restera mort.
Tant que nous croirons être vivants et libres, agissant, nous ne serons que des morts enterrant les morts, des morts subsistant de choses mortes, des algues agitées par le flux et le reflux.
Où est la Vie ?