J'ai récemment assisté à une conférence dont le but était grosso modo : comment se libérer de la roue des renaissances. C'était pas le nom exact, mais bien le propos : comment sortir de ce foutoir terrestre.
Cette réunion était programmée depuis des semaines, et le nombre des participants connu d'avance, puisqu'il était demandé de payer sa place avant la tenue.
Le public était composé d'hommes et femmes de tous âges, entre 25 et 75 ans, environ.
J'y ai participé consciencieusement, et en conscience (ce qui n'est pas la même chose). Les intervenants étaient jeunes, ce qui est rassurant. Je n'en peux plus des papys dans mon genre qui vous expliquent comment réussir ce qu'ils n'ont pas réussi.
Ce que j'ai principalement retenu de cette journée, en dehors d'informations à méditer : l'infantilisme des comportements.
Toutes les places ayant été réservées, l'une des premières annonces étant qu'on avait refusé du monde, et n'étant pas dans un cinéma aux sièges fixes, toutes les chaises étaient censées être occupées.
Or, comme dans les cinémas, où l'on ne s'assied pas à côté de l'étranger, tant qu'il reste suffisamment de places vacantes, les gens ou les groupes de gens laissaient toujours une chaise vide entre eux et l'autre. Une ou deux. Des chicots. Or, il devint vite évident qu'effectivement, toutes les chaises seraient occupées.
Qelle fut alors la stratégie adoptée par la foule (la foule étant ici comme ailleurs un organisme collectif réagissant collectivement et mécaniquement à une situation donnée) ?
Chaque nouvel arrivant qui apercevait une chaise libre dans un endroit reculé demandait à toutes les personnes déjà assises de se restreindre suffisamment pour lui laisser un passage suffisant, en disant "pardon, pardon, pardon" à chaque fois, heurtant des genoux, infligeant selon le cas aux visages contraints son sexe ou son anus heureusement emballés de sous-vêtements et vêtements. Tel Konrad Lorenz, j'adore observer la vie des bêtes.
Il suffisait pourtant que toute la ligne se déplace d'une ou deux chaises afin de combler l'écart, et d'occuper les chicots, pour laisser à la disposition du retardataire la première chaise.
Manifestement, ce choix facile n'est pas naturel.
L'ostracisme subi par le premier assis, qui a dissuadé le second de s'asseoir juste à son côté, doit peser sur le dernier qui surgit. Le premier, perçu dès l'abord comme "autre", le demeure jusqu'au bout.
Le rang situé devant moi ayant laissé passer de la sorte un retardataire condamné à se poser à côté d'un "autre" ainsi ostracisé, les occupants des chaises de devant s'étaient reculés. Cette réaction, toutefois, n'avait pas entraîné dans tous les cas l'action compensatoire qui aurait consisté à se propulser en avant, de sorte que ma jambe droite et le genou qui lui sert de charnière étaient douloureusement comprimés par le dossier du bipède de devant. Lui ayant signalé la chose, il s'empressa bien sûr de me libérer, sans qu'il soit besoin d'en venir aux horions. Nous sommes entre gens civilisés, soucieux de se libérer de la roue des renaissances.
Ce qui m'ébahit, ce fut la façon dont, après la pause, chacun, et même ceux qui n'y avait laissé ni vêtement ni objet, regagna exactement sa place.
Parce que le fait d'avoir posé une fois son cul sur une chaise établit manifestement une sorte de contrat entre les deux. Je t'aimerai toujours, dit le cul à la chaise. Je te resterai fidèle, répond la chaise. Impossible donc, sauf à subir des regards noirs, de choisir de s'établir cinq rangs plus près des conférenciers. C'est ma place, accusent les yeux furibards de celle qui se voit obligée de quitter ses pénates après la pause pipi. Je l'ai fait quand même, mais mes nouveaux voisins n'appréciaient manifestement pas cette rupture, cette entorse aux usages. Pourtant, c'est promis, j'étais lavé de frais, au savon bio à l'eucalyptus, et, à part les pompes presque neuves, mes fringues sortaient de la machine.
J'avais oublié de remarquer que les deux premiers rangs de chaises portaient l'indication : places réservées.
Parce que pour ce qui est de la libération, comme en toutes choses en ce monde, il y a un ordre de priorité à respecter.