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27 août 2013 2 27 /08 /août /2013 17:24

Je marchais depuis plusieurs jours, remontant la côte vers le Nord. J'avais le visage coupé de larmes sitôt séchées par le grand vent battant de l'Ouest. Mes mains s'engourdissaient au bout de mes bras, et je ne savais qu'en faire. Voici bien de quoi surprendre l'homme qui ne s'est jamais éloigné de sa chaise, mais ce n'est pas tant aux pieds que l'on pense, en marchant, qu'à ces mains soudain privées d'usage, inutiles, nouveau fardeau. Alors je me fis un bâton de noisetier.

 

J'avais résolu de couvrir quelques deux cent vingt kilomètres en huit jours, pour me changer les sangs. Rien de tel pour renouer le contact avec les forces du monde, rien pour faire mieux sentir comme elles sont soeurs, ces forces géantes de la terre, et celles, secrètes, du ventre, des aiguillages enfouis entre l'esprit et le corps.

 

Mon sac était assez léger, une dizaine de kilos, et je filais bon train, autour de sept à l'heure, dans ce paysage minéral à l'herbe rare et dure, comme un lichen.

 

Le ciel, quand n'y roulaient pas les monstres bleu nuit, locomotives fantômes, convoi de nuages, vrillait un gris blanc qui me blessait les yeux. Et les larmes perlantes, salées comme les lames qui s'écrasaient en contrebas sur la grève noire de varechs, ces larmes qui creusaient mes joues, et puis séchaient soudain, me paraissaient être une liqueur précieuse, essence de tous les paysages traversés depuis l'aube de ma vie, gouttes de mondes, fruit ultime des milliards de regards-lumière étendus entre le centre caché d'où procède toute vie, et sa manifestation ruisselante, les dix mille êtres, dont dix mille femmes aimées.

 

Je marchais encore, dansant dans la lumière et j'abordai une pente longue et régulière, jonchée de cailloux blancs. Alors, je me mis à courir - ce que réprouvent bien des manuels du prudent randonneur - comme je fais toujours, dans ces configurations de terrain. Me vint soudain la sensation, puissante, d'être un guerrier en course, et le bâton de noisetier emplit ma main comme une sagaie. Extase, vous-dis-je.

 

Après quelques minutes, le chemin tournait et donnait sur une petite crique. Je m'abritai du grand vent; puis je m'assis dans un creux de rocher, enfilai mon pull pour déjeuner. Saucisse sèche classique, pain raide et flotte tiède. Au parfait campeur. Une pomme. Café froid. Cure-dents.

 

Voilà. Maintenant, je détends les jambes, les cuisses, surtout, et je regarde.

 

A deux cent mètres, assises sur les rochers de la côte, deux maisons pareilles.

 

Deux soeurs. La même mère, en tous les cas.

 

Regardons mieux.

 

L'une - celle de droite - est astiquée comme la pipe d'un amateur, et protégée, côté mer, d'un mur de béton gris de deux mètres.

 

L'autre est nue et reçoit les embruns de plein front. Nul doute que lorsque la mer est grosse, les vagues viennent lécher les pieds de cette insouciante princesse.

 

La première est peinte de blanc, et les murs resplendissent, sous un épais manteau de roses.

 

L'autre est crottée d'un badigeon gris blanc, jusqu'à soixante centimètres. Des plantes sauvages et des salicornes percent le pavé.   C'est Peau d'âne, ma princesse...  

 

Alors, l'estomac plein et les jambes gourdes, je me laissai aller au songe éveillé, et l'araignée folle de ma tête creuse tissa le fil de cette histoire :

 

Une terre, un maître..

 

Deux frères. Chacun reçoit les mêmes dons, le même jeu, disent les joueurs.

 

Chacun d'eux a une petite maison proprette, le grand air, et un bout de champ clos de murs en pierres sèches.

 

Chaque nuit, une masse impétueuse d'eau salée vient s'écraser aux pieds des maisons, léchant parfois jusqu'aux fenêtres, puis s'écoule en mille endroits par les interstices des murets.

 

Le premier jour, une fine croûte blanchâtre étoile le sol inégal aux endroits les plus creux des champs.

 

Au bout d'une semaine, le premier s'arme d'un balai de genêts, d'une pelle et d'un seau, et remet tout comme au début.

 

Par la suite, voyant ses efforts toujours battus en brèche, il décide de renforcer l'ouvrage du côté de la mer. C'est, fruit de plusieurs strates successives, le grand mur gris sur lequel s'écrasent les vagues de l'Ouest.

 

L'autre, plus négligent, aime le fracas du ressac et l'odeur du varech. Il aime aussi la sieste, la rêverie, le vin, le piquant du sel sur sa langue, et l'éclat gris devenant nacré de l'épaisse couche qui recouvre assez vite le sol et les murs.

 

Puis le maitre revient.

 

A l'un, il dit: "Serviteur fidèle...", vous connaissez l’histoire. Content, il lui donne la gérance des mers éternelles et de toutes leurs succursales; l'autre, il le jette en prison, où depuis lors il médite cette histoire qui, j’espère, ne manque pas de sel.

 

Mais quelles sont les instructions? Y a-t-il un mode d'emploi? Tout -  mes deux bonshommes - ne fut-il pas tel qu'Il le fit ? Y a-t-il un bon ? Un pas bon ?

 

Est-ce un koan ? Faribole ou parabole? Et puis, à qui se plaindre?  

 

Y a-t-il un Dieu dans la salle? Quelqu'un écoute ?

 

Que de questions !

 

Allez, debout. Marchons tant qu'il fait jour.

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commentaires

L
<br /> :)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> L'equilibrio rispetto a tutti.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci Jade. Magnifiquo texto. ;) Merci a toutes et tous.<br />
Répondre
V
<br /> <br /> Il faut de tout, pour faire un véritable monde.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> Bonjour Jade, contente aussi de vous lire à nouveau….<br /> <br /> <br /> Ils sont très "vrais" ces frères, incessamment battus en brèche par la mer …<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Y a-t-il un bon ? Un pas bon ?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je ne vois pas trop…l'un travaille selon les éléments, les transforme et danse contre eux, l'autre est ces éléments, il s'y fond, mais tous les deux les intègrent totalement: l'un par l'effort et<br /> la lutte permanente, il devient productif, l'autre devient ces éléments, il se fait submerger …<br /> <br /> <br /> Et si ni l'un ni l'autre n'était vraiment heureux ?<br /> <br /> <br /> Et s'ils n'avaient pas bâti de maison, seraient-ils plus heureux ?<br /> <br /> <br /> Je me sens devenir nomade au fil du texte…D'ailleurs il faut marcher !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Est-ce un koan ? Faribole ou parabole? Et puis, à qui se plaindre?  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Y a-t-il un Dieu dans la salle? Quelqu'un écoute ?<br /> <br /> <br />  …<br /> <br /> <br /> Ca doit-être le silence alors...!?<br /> <br /> <br />  <br />
Répondre
V
<br /> <br /> Ni bon ni pas bon, non. Chacun sa nature.<br /> <br /> <br /> <br />
E
<br /> Que de questions, effectivement !<br /> <br /> <br /> Me vient à l'idée une petite phrase à ce propos : 'regardez les oiseaux du ciel...'<br /> <br /> <br /> Et je me prends à penser que dans le cas de ces deux 'maisons', si je suis aveugle que vais-je penser ? Que vais-je ressentir ? Que vont me dire mes narines et mes mains ? Vers laquelle de ces<br /> deux maisons me portera mon coeur, puisque nous avons toujours un choix ?<br /> <br /> <br /> Je pense qu'il n'y a ni "bon" ni "pas bon" dans la mesure où chacun fait ce qu'il aime et n'exige pas du frère-voisin qu'il fasse la même chose que lui.<br /> <br /> <br /> Ce sont la jalousie, la haine et le jugement qui ne sont 'pas bons'. Pour le reste, c'est seulement de différence et de diversité qu'il s'agit.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
Répondre
V
<br /> <br /> Bravo !<br /> <br /> <br /> <br />

Présentation

  • : Le jardin de Vieux Jade
  • : Arrivages du jour, légumes secs, mauvaises herbes, quelques trucs qui arrachent la gueule. Taupes, censeurs et culs bénits s'abstenir. Si vous cherchez des certitudes, c'est pas l'endroit.
  • Contact

Décidément rétif à l'ordre bestial, j'ai fixé ma résidence ailleurs, d'où j'observe le déroulement des temps infernaux, fumier des plus belles fleurs.  J'ai un jardin secret, où les plantes poussent toutes seules. Servez-vous, si le coeur vous en dit, sans tenir compte de la chronologie, car comme le mot le dit clairement, l'heure est un leurre.

 

Une précision concernant les commentaires : n'ayant pas toujours le temps ni l'énergie de répondre aux commentaires, ceux-ci restent ouverts, sans aucune garantie que j'y réponde. Je me réserve cependant le droit de sabrer les inconvenances, dont je reste seul juge.

 

Ici, je n'est pas un autre.

Recherche

Lave

Après l’explosion

Nul ne l’a sue

Le jour d’après

Coule la lave

Brûlent les cendres

Lave la lave

Mange la louve

Larmes sans sel

De régime

Cuit et recuit 

Frottent les cendres

Récurent

 

Pas encore nu,

Pas tout à fait ?

Restent des choses

Bien accrochées

Des salissures

De vieux fantômes

D’anciennes guerres

 

Qui peut le faire, si ce n'est toi ? 

 

Nettoie

 

Les notes glissent

Comme des larmes

Gouttes de feu

Sur la paroi

 

Qui m’a volé le cœur ?

Qui m’a trempé vivant,

Comme une lame ?

Qui m’a fouetté les yeux,

M’a déchiré le ventre

Me baisant les paupières

Et m’enduisant de baume,

Me prenant par la main,

Pour me conduire

Dehors ?

Les dits de Lao Yu

LE BUT DE LA QUÊTE EST DE N'AVOIR

NI BUT, NI QUÊTE

 

***

 

QUE SAIT-IL DE LA PESANTEUR,

CELUI QUI N'EST JAMAIS TOMBÉ ?

 

***

 

C'EST SOUVENT LORSQU'ELLE S'ENFUIT QU'ON PERÇOIT L'ESSENCE DE LA BEAUTÉ

 

***

 

LA MER A DES MILLIARDS DE VAGUES QUI BATTENT TOUS LES RIVAGES. OU EST LE CENTRE DE LA MER ?

 

***

 

CE QUI EST MORT N'A AUCUN POUVOIR SUR CE QUI EST VIVANT

SEULS LES MORTS CRAIGNENT LES MORTS

 

***

 

QUAND LE NID BRÛLE, LES OISEAUX S’ENVOLENT

 

***

 

C’EST DANS LA CHUTE QUE LES AILES POUSSENT

 

***

 

CE QUI PEUT ÊTRE PERDU EST SANS VALEUR

 

***

 

LA MAISON EST PLUS GRANDE QUE LA PORTE

 

***

 

L’ERREUR EST LA VOIE

 

***

 

LA ROUTE EST DURE A CELUI QUI BOÎTE

 

***

 

LA LUMIERE DE L’ETOILE EST DANS L’ŒIL QUI LA REGARDE

 

***

 

LES PETITS NOURRISSENT LES GRANDS

 

***

 

LES RICHES ONT UNE BOUCHE
MAIS PAS DE MAINS POUR LA REMPLIR

C’EST POURQUOI IL LEUR FAUT
DE NOMBREUX SERVITEURS ;


CEUX QUI ONT DE NOMBREUX SERVITEURS
NE SAURAIENT VIVRE SEULS,

CE SONT DONC DES PAUVRES ;


CELUI QUI PEUT VIVRE SANS SERVITEURS 
EST DONC LE VERITABLE RICHE.

 

***

 

VIVRE C’EST REVENIR SUR SES PAS

 

***

 

LA NUIT LAVE LE LINGE DU SOLEIL

 

***

 

LES RUISSEAUX EMPORTENT LES MONTAGNES

 

***

 

UNE EPINE DANS LE PIED DU GENERAL : L’ARMEE S’ARRÊTE


***
 


UN PORC EN HABITS DE SOIE RESTE UN PORC,
COMME UN DIAMANT DANS LE FUMIER

RESTE UN DIAMANT.

MAIS LA PLACE D’ UN DIAMANT

EST DANS UN ECRIN DE SOIE,

ET CELLE D’UN PORC DANS LE FUMIER.

 

***

 

COMME SEULE L’EAU ETANCHE LA SOIF,
SEULE LA JUSTICE COMBLE LA FAIM DE JUSTICE

 

***

 

DU COLIBRI A L’AIGLE, IL EXISTE DE NOMBREUX OISEAUX

 

***

 

LE DEDANS REGLE LE DEHORS

 

***

 

L’EPONGE BOIT LE VIN RENVERSÉ
ET LA ROSÉE DU MATIN

 

 

***  

 

LORSQU'IL DECOUVRE LE MIEL,

L'OURS OUBLIE LA PIQÛRE DES ABEILLES

 

 

 

 

 

 

 

 

Lisez-Moi Lisez Moi Lisez Moi

Des mots des mots des mots des

Quand à un livre je me livre , ce que je lis me délie.

 

 

Je me demande pourquoi on n'a pas encore une loi qui oblige à faire bouillir les bébés à la naissance, afin qu'ils soient parfaitement stérilisés.

 

Circuler, pour mieux s'ôter.

Toute notre vie, on attend une grande cause pour se lever, et on passe sa vie accroupi, à croupir.

Le lucane aime prendre l'R le soir à sa lucarne.

Ce qu’il y a de bien dans l’état de siège, c’est qu’on prend le temps de s’asseoir.

 

 

Les oiseaux sont les poissons du ciel,

nous en sommes les crabes


Heureux les déjantés, ils quitteront plus facilement la route commune!

 
L’argent n’a pas d’odeur, mais il y contribue.


Un vrai sosie, c’est invraisemblable.

   

Quand je grossis, je m’aigris ; et quand je m’aigris, je grossis.

   

Le temps, c’est de l’urgent.

   

Joindre l’utile au désagréable : se faire renverser par une ambulance.  

 

Le journal du paradis, c’est le Daily Cieux.

   

Yfaut et Yaka sont dans un bateau ; Yfaut tombe à l’eau, Yaka l’repêcher.

 

Chaque matin, s’ils ne sont pas morts, les vieux vont aux nouvelles.

 

Le poète a latitude d’explorer toutes les longitudes.

   

Etre réduit à la portion congrue, c’est fort peu. Moins, c’est incongru.

 

Peut-on dire de quelqu’un
dont la vie dépend des autres pour tout qu’il
est riche ?
La bouche est elle riche ?

Peut-on dire de quelqu’un
qui n’a rien à attendre des autres qu’il est pauvre ?
Les mains sont elles pauvres ?

 

Curieux comme mystique s’oppose à mastoc.

 

On a mis bien des ouvrages majeurs à l’index.

 

Quand le brouillard tombe, on voudrait qu’il se casse.

 

Au matin, la nuit tombe de sommeil.