L’éléphant et la libellule se rencontrèrent un matin au point d’eau.
Qu'est-ce que tu es es belle, dit l’éléphant. Elle était irisée et buvait doucement une goutte de rosée posée là sur une feuille.
Il réfléchit, et une pensée naquit de son énorme cerveau qui enregistrait tout depuis près de cent ans.
Tu es belle, et c’est écrit dans ton nom : liBELLulE. Tu es belle, et je suis laid.
Il était tout crotté, et de grandes brassées de peau écailleuse pendaient de son ventre rond comme un tonneau.
C’est écrit aussi dans mon nom : LAID - LAID- phant, dit-il tristement en arrosant tout de son énorme trompe. Tu vois, c'est même dit deux fois, tellement je suis pas beau.
La libellule s’écarta prudemment du jet, et dit : moi, je te trouve beau. J’aime tes petits yeux ronds et ta sagesse, et le vacarme que tu fais. J’aimerais bien en faire autant, mais vois, je n’ai que ces maigres ailes et ce ventre longiligne, alors que toi, tu es rond comme la Terre.
Elle vrombit un peu pour montrer comme elle était triste d’être si menue.
Et je ne vis qu’un jour, alors que tu sais toutes les histoires du temps passé. Demain, tu m’auras oublié.
L’éléphant fut encore plus triste, et une grosse larme, à noyer une tribu de libellules et plusieurs fourmilières, coula sur sa joue parcheminée.
C’est vrai, au fil du temps, j’ai perdu tous mes amis, et toutes mes amours. Mais je n’ai jamais vu une si belle personne que toi, et je voudrais être ton amoureux, si c’était possible, et boire avec toi une goutte de rosée sur une feuille.
Hélas, c’est impossible, mon cher amour, dit la belle. Moi aussi, j’aurais tant voulu que nous puissions partager cette beauté, cette tendresse.
Elle se tut un instant puis dit : je ne te trouve pas laid, bien au contraire. Ta légèreté et ta délicatesse sont écrites dans ton nom : AILES et FAON.
L’éléphant éperdu de tendresse lui jeta un coup d’œil, et dit : je sais que demain, tu seras morte, et que je vivrai encore longtemps. Mais je ne t’oublierai jamais.
Il y eut un silence, puis il ajouta : Dans amour, malheureusement, il y a mur : aMoUR.
Tu as de beaux petits yeux ronds, tu es ancien et tu es sage, dit-elle. Mais tu ne vois pas tout, regarde : dans AmOur, il y a aussi A et O, qui sont le début et la fin du monde.
Et leurs esprits s’envolèrent alors très loin, très haut, hors des apparences, là où tout est possible, l'instant d'une éternité.