J'avais un copain, un homo comme ils disent, qui demandait "Quelle heure est-elle"?
Nous sommes régis par les conventions. Les zomos, entre autres dérangeants, foutent un grand coup de pied au cul des conventions pour en assener d'autres.
Soit, en ce maudit latin : cum-venire, le lieu où nous nous rencontrons. Bien sûr, il faut que chacun règle sa montre sur tout le monde pour que le monde puisse arriver à l'heure et que la grosse machine ait son rendement.
Toujours ce maudit collectif qui nous dévore. Les zomos ont aussi des montres et des impératifs, qui sont à peu près ceux des zétéros, aller bosser et trouver une serrure où mettre sa clé.
Zomos et zétéros : kif kif devant Saturne, le grand Avaleur. Ça devrait relativiser les haines et les rancoeurs.
Quand les anciens parlaient de Saturne - Chronos- comme du dieu qui dévore ses enfants, ils oubliaient de dire que le fait de lui vouer un culte est encore plus dangereux. Régler sa vie en fonction de l'heure et du temps imparti est spécialement mortel.
Cela dit, j'en parle aisément car j'ai, comme diraient mes ancêtres, avalé une horloge : jamais en retard. C'est un implant, dont je tente de me consoler en me redisant l'adage : "l'exactitude est la politesse des rois". Roi de quoi ? demande le diable perso, roi des cons ? *
Le sujet étant intime et brûlant, je passe. Sauf que, quand j'attends, et c'est souvent, vu que beaucoup de gens sont fâchés avec l'heure, je me régale. Là commence la vraie liberté.
Paradoxal ? Ayant rempli la première partie de mon contrat : être à tel endroit à telle heure, le reste est tout bénéfice. Si l'autre est en retard - c'est souvent - et quand c'est en rase campagne, je médite, voire je dors, si c'est en ville, j'observe. Les gens, les voitures, les maisons. Tout parle. Tout est vivant et tout parle.
Inutile, infructueux et stupide de s'énerver. Il y a tant de choses à voir, tant à s'extasier. Je me souviens d'une attente à Montpellier, durant laquelle j'ai pris conscience du travail des hommes, de leur acharnement, de leur constance à édifier ces boîtes, ces murs, ces balcons, comme des termites insatiables, ce travail prodigieux multiplié par ces milliers de villes semblables, pour en arriver à ce gigantesque décor dans lequel nous nous existons de mille manières. A cet instant, j'ai ressenti l'immensité, l'énormité même, la frénésie invraisemblable de l'oeuvre des hommes. Sans cette attente, sans ce retard providentiel de l'autre, je n'en aurais jamais rien su, de ce prodige imaginaire, puisque, tout étant vide, comme le reconnaît la physique,et comme chacun devrait en être imbibé,tout cela n'est que projection d'un film.