Ça pour une première... c'est une première. Mme VJ et moi-même, soudain avons ressenti le même besoin : aller à Vézelay. D'habitude ça nous prend aux beaux jours. Nous embarquons, Mme aux commandes. Je sais, c'est pas prudent, mais j'applique le précepte nieztschéen : vivre dangereusement.
Vézelay est toujours au même endroit, sauf que la Terre a fait un peu de chemin depuis la dernière visite et... miracle, il n'y a personne. Enfin, presque : une dizaine d'hurluberlus. Jamais vu. D'habitude c'est une cohue genre les Puces de Saint-Ouen, et là, j'ai même pas fait de photo, mais y'avait pas un rat.
Même les chats sont en vacances : boutiques, restaurants et clergé fermés. Hormis - ouf - le restaurant du Cheval Blanc, avec ses oeufs en meurette et son pain perdu, sur la place en bas.
L'incroyable, c'est que pendant près de dix minutes, on a eu la basilique pour nous. On aurait pu mettre "do not disturb" sur les portes, on y restait une heure.
Vingt minutes de crypte à jeun depuis la veille, c'est une des plus grosses défonces que je connaisse. On se demande ce que fait le ministre des stupres. Y a belle heurette que je t'aurais muré le truc, moi. Je comprends qu'il y ait à nouveau des moines là-dedans. Tous les toxicos du bondieu, les voraces de l'extase s'inscrivent pour y passer des petites vacances hors du monde.
Hors du monde ? Pas vraiment. Comme nous étions seuls, dans un silence vibrant, nous nous sommes soudain aperçus qu'on entendait tout, dans cette grotte. Tous les bruits de pas, les grondements, les chuchotements, les cloches qui sonnaient follement midi, tous les bruits du monde venaient jusqu'à nous. Il y a tant de touristes d'habitude, tant de va et vient, tant de bruits qu'on plonge au fond du silence. Mais pas hier. Hier, on était au coeur du monde, on entendait battre son pouls.
On y fait des séances prolongées, vingt ou vingt-cinq minutes, jusqu'à ce que quelqu'un fasse toctoc à notre conscience et qu'on remonte. Deux à trois fois l'an.
Il vaut mieux sortir de là comme les plongeurs du Grand bleu, par paliers. S'asseoir sur les bancs de pierre polie,dans le choeur, reprendre contact avec l'extérieur.
Après quelque pas dans la rue, le vent qui nous jetait de grands seaux d'air tiède et de soleil, du soleil comme s'il en pleuvait, hier on voyait clairement la lumière pleuvoir du ciel, Mme VJ m'a dit : ça va mieux, tu reprends des couleurs. Tu étais tout pâle en remontant.
Je vous le dis. Une énorme défonce. L'ivresse des profondeurs.